#Anti2010: Pourquoi les collégiens nés en 2010 se font insulter sur les réseaux sociaux

Après des moqueries et des menaces virtuelles, notamment sur TikTok, les insultes visant les élèves nés en 2010 s'invitent au collège.

Une campagne de dénigrement à l'encontre des élèves nés en 2010. Depuis plusieurs semaines, le hashtag #Anti2010 essaime sur les réseaux sociaux: il cumule 40 millions de vues. Dans le viseur: les élèves qui viennent d'entrer en 6e et qui sont donc nés en 2010.

Entre moqueries et menaces

Sur TikTok, le réseau social le plus en vogue chez les jeunes générations, les publications sont nombreuses. Et parfois inquiétantes, entre moqueries, propos dégradants et insultants, voire menaces. Certaines appellent à "afficher" les tenues vestimentaires "les plus moches" de ces élèves, un gif chante "je sens qu'on va se faire défoncer" et un autre met en scène une personne en uniforme militaire armée frappant à une porte avec la légende "moi qui a (sic) trouvé l'adresse d'un 2010". Les références à la violence ou aux armes sont récurrentes.

Cette campagne de dénigrement est également associée aux références culturelles de cette génération: les pop-it - ces planches de silicone colorées qui imitent le papier bulle et qui font fureur chez les moins de 12 ans - ou encore le jeu vidéo Fortnite. Les "anciens" joueurs considérant que les "jeunes" joueurs l'auraient rendu désuet. Les enfants nés en 2010 sont ainsi parfois appelés les "Fortkids".

Une vidéo est particulièrement tournée en dérision, Pop It Mania, de Pink Lily - une jeune youtubeuse et gameuse - diffusée début août. La chanson, qui vante les fameux pop-it, met en scène deux fillettes, "nées en 2010 et déjà sur toutes les tendances", chantent-elles.

"Ma fille craint d'aller au collège"

En réponse, certains utilisateurs de ces mêmes réseaux sociaux ainsi que des gamers ont tenté de désamorcer cette campagne, invitant à plus de respect et de bienveillance envers les plus jeunes. D'autres ont lancé un mouvement contre les anti2010, avec pour effet de redonner de la vigueur à la controverse.

Le phénomène a pris de l'ampleur à la fin de l'été, au point d'effrayer certains élèves. Peu avant la rentrée, la sœur d'une fillette entrant au collège s'en émouvait sur Twitter.

La mère d'une autre évoquait elle aussi les inquiétudes de sa fille, comme l'alertait La Voix du Nord.

"Ma fille craint d'aller au collège lundi car les enfants nés en 2010 seraient la cible d'insultes", écrivait-elle.

Depuis, la fille de cette habitante du Nord a fait sa rentrée. Deux semaines après la rentrée, il semble que la campagne de dénigrement s'est bel et bien invitée dans les établissements scolaires.

"Elle me dit que régulièrement, dans les couloirs, certains fredonnent la chanson Pop-it quand ils croisent un enfant né en 2010, témoigne-t-elle pour BFMTV.com. Il est aussi arrivé, lorsqu'elle était assise sur un banc, que des grands se lèvent en disant: 'On ne veut pas de 2010 à côté de nous'."

Sa fille, qui n'est pas utilisatrice des réseaux sociaux, avait été alertée dès la fin de l'année scolaire précédente par une voisine et collégienne plus âgée. Si, aujourd'hui, elle a "décompressé" et "relativise" en se disant que "ce n'est pas si terrible", la cite sa mère, d'autres restent inquiets. Comme la fille d'une de ses collègues insultée par d'autres pour son année de naissance, "sale 2010".

La FCPE s'en est alarmée dans un communiqué bien qu'elle n'enregistre pas de remontées à ce sujet; ni le Snes - le premier syndicat enseignant - ou le Snpden - celui des chefs d'établissement. Mais cette fédération de parents estime que "le phénomène a pris une toute autre ampleur depuis la rentrée".

"Il est inacceptable que des enfants soient victimes d'appel à la haine, d'appel à la mort sur les réseaux sociaux associés à des images ultraviolentes", dénonce-t-elle.

"Ils se font insulter de tous les noms "

Il n'est plus question de simples railleries virtuelles. Jules (uniquement présenté par son prénom pour préserver son anonymat), un élève de 5e né en 2009 scolarisé dans un collège de région parisienne - qui n'a pourtant ni téléphone portable ni accès aux réseaux sociaux - sait immédiatement de quoi il s'agit lorsqu'on l'interroge sur ce hashtag.

"Ceux qui sont nés en 2010 se font insulter de tous les noms, explique-t-il à BFMTV.com. C'est arrivé à un garçon dans ma classe. Mon meilleur copain m'a dit qu'il en a même vu un se faire frapper en ville."

Le phénonème ne date pas de cette rentrée. L'année dernière déjà, les élèves nés en 2010 faisaient l'objet de tels comportements. Jules a ainsi assisté, à plusieurs reprises assure-t-il, à des scènes lors desquelles des enfants nés en 2010 - qui étaient alors en 6e, ayant sauté une année - se faisaient frapper, voire jeter au sol par d'autres plus grands au sein de son établissement.

"C'est rare que ça aille jusqu'à la vie scolaire ou au CPE. Une fois avec mon copain on voulait jouer au foot avec des 4e. Ils nous ont demandé si on n'était pas des 2010."

Quant aux pop-it, s'ils faisaient fureur à l'école primaire, ils ont complètement disparu au collège.

"Plus personne ne le sort de son sac", ajoute Jules.

"C'est très grave, où va-t-on?"

Hugo Martinez, président de l'association Hugo! qui lutte contre le harcèlement scolaire, a été alerté par des adolescents sur le sujet. Des parents l'ont également contacté. Il craint une "escalade de haine", comme il l'explique à BFMTV.com.

"C'est révélateur de notre société où la haine est de plus en plus présente et s'affiche sur les réseaux sociaux. Les enfants reproduisent à leur échelle ce à quoi ils assistent. C'est très grave, on en vient à discriminer quelqu'un sur son année de naissance. Où va-t-on?"

Il estime que le sujet reste pris à la légère et appelle Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation nationale, ainsi que Cédric O, le secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des communications électroniques, à se saisir du sujet.

"Il faut également associer les réseaux sociaux. On ne peut pas laisser la haine se déverser librement sur internet."

Certains proviseurs, conscients du probème, ont pris les choses en main, comme le relate cette mère d'une collégienne sur Twitter. Les parents d'élèves ont été averti, le personnel éducatif doit passer dans les classes et des sanctions sont prévues pour les adolescents qui participeraient à cette campagne de dénigrement.

Le risque de harcèlement

Pour Justine Atlan, directrice générale de l'Association e-Enfance, ce phénomène serait une émanation du "classique mais malheureux bizutage" des élèves de 6e. "Maintenant, ça a migré sur les années de naissance." Il n'est pas rare en effet que les enfants s'identifient dans la cour par leur année de naissance. En plus de créer un sentiment d'insécurité défavorable au climat scolaire et aux apprentissages, elle y voit le risque de dérapage qui pourrait tourner au harcèlement, met-elle en garde pour BFMTV.com.

"Les plus grands font revivre aux plus petits ce qu'ils ont eux-mêmes vécu, c'est sans fin et ça se répète tous les ans. Ce qui est terrible avec le harcèlement, c'est que ce sont des micro-violences, parfois non visibles, mais qui peuvent traumatiser à vie. Une bousculade, une insulte, une tape, une humiliation qui sont permanentes, répétées, souvent commises par un groupe sur leur victime, c'est insupportable et destructeur."

Elle regrette que ces violences insidieuses restent banalisées, insuffisamment prises en compte et désamorcées en amont. "Malheureusement, on traite souvent ça comme un rituel de passage."

L'association e-Enfance gère le 3018, le numéro national pour les jeunes victimes de violences numériques. Un numéro gratuit, anonyme et confidentiel.

Article original publié sur BFMTV.com

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