Une avocate à la tête de l'ENM? Pourquoi cette nomination secoue l'institution

Le ministre de la Justice veut réformer en profondeur l'école qui forme les futurs magistrats français. De quoi tendre un peu plus les relations entre le garde des Sceaux et la profession.

Une avocate pour prendre la direction de l'école qui forme les magistrats. C'est la proposition faite ce lundi midi par le ministre de la Justice. Eric Dupond-Moretti a soumis le nom de Me Nathalie Roret, actuelle vice-bâtonnière du barreau de Paris et avocate pénaliste, pour devenir la directrice de l'École nationale de la magistrature (ENM). L'établissement sera ainsi dirigé pour la première fois par une femme et par une personnalité non issue de la magistrature.

"J'ai décidé de proposer à la signature de monsieur le président de la République le nom du 17e directeur, et pour la première fois dans l'histoire de l'école, ce directeur sera une directrice", a déclaré Eric Dupond-Moretti, avant de saluer "une femme d'exception, Maitre Nathalie Roret, actuelle vice-bâtonnière du barreau de Paris".

Eric Dupond-Moretti a justifié son choix indiquant "préférer les états de service" aux "états d'âmes". La principale intéressée, qui a prêté serment en 1989, a rapidement réagi sur Twitter évoquant la "mission majeure dans l’intérêt de la justice et des justiciables qui permettra de renforcer le lien entre avocats et magistrats" qui lui est confiée par le ministre.

"Incapable de former"

Eric Dupond-Moretti n'a jamais caché son aversion pour cette institution bordelaise qui forme environ chaque année 350 magistrats français. Dans un livre publié en 2018 Le dictionnaire de ma vie, l'avocat pénaliste de l'époque estimait qu'il fallait même supprimer l'ENM qui, selon lui, est "incapable de former les futurs magistrats tant sur le plan professionnel que sur le plan humain". Il dénonçait alors "l'entre-soi" et "l'alchimie" entre les juges et le procureur, excluant l'avocat.

Eric Dupond-Moretti voit également dans ce corporatisme la raison "qui éloigne la justice des citoyens", a-t-il déclaré ce lundi lors d'une déclaration devant la presse. Corporatisme qui "prenait corps pour une part à l’école nationale de la magistrature."

La suppression de l'école n'était pourtant pas envisageable pour l'actuel garde des Sceaux, qui reconnaissait en juillet dernier, qu'il "ne pourrait pas" mener à terme "tout ce qu'il rêverait de faire", évoquant alors la fin de l'ENM. "Elle est le ferment d’un corporatisme mais ce n’est pas à l’ordre du jour", déplorait pourtant Eric Dupond-Moretti.

Un "corporatisme" dénoncé

Le ministre de la Justice n'a pas renoncé un changement profond en soumettant à la présidence de la République le nom d'une avocate. "Cette proposition manifeste chez le ministre un corporatisme proche de celui qu'il dénonce", regrette Jacky Coulon, le secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats, joint par BFMTV.com. Il estime que le garde des Sceaux aurait pu nommer "un professeur de droit" s'il ne souhaitait plus d'un magistrat à la tête de l'institution.

"Pour lui, il n'y a qu'un avocat qui peut ouvrir l'école, critique encore Jacky Coulon. C'est mal connaître l'ENM. Aujourd'hui, plus de la moitié des étudiants ont une carrière antérieure, souvent ce sont des anciens avocats ou des juristes d'entreprises. Les critiques énoncées à l'égard de l'ENM sont des critiques d'il y a 40 ans."

Lors de la nomination d'Eric Dupond-Moretti à la Chancellerie, l'Union syndicale des magistrats avait déjà dénoncé "une déclaration de guerre" envers la profession. La semaine dernière encore, les deux organisations syndicales, l'USM et le Syndicat de la magistrature, ont dénoncé "l'attitude subjective, partisane et vindicative" du ministre de la Justice.

"Atteinte" à l'indépendance de la justice

Cette réaction faisait suite à l'ouverture d'une enquête administrative, confiée à l'Inspection générale de la Justice, visant trois magistrats du parquet national financier, alors que l'instance n'avait pas révélé de "dysfonctionnement" au sein du parquet.

Le PNF est mis en cause pour avoir épluché les relevés téléphoniques, les fadettes, de plusieurs avocats parisiens, pour tenter d'identifier une éventuelle taupe dans une affaire judiciaire impliquant l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy.

La décision du ministre a été qualifiée "d'atteinte inédite à l'indépendance de la justice" par les syndicats de magistrats.

Article original publié sur BFMTV.com

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