Céline Tran dans La Face Katché : "Quand je me suis lancée en tant qu’actrice X, c'est la première remarque qu'on m'a faite"

Près de dix ans après la fin de sa carrière d’actrice X, Céline Tran a fait bien du chemin. D’origine vietnamienne de par son papa, elle a, au fil du temps, appris à comprendre les silences qui ont longtemps entouré sa cellule familiale. Pour Yahoo, dans La Face Katché face à Manu Katché, Céline Tran revient sur son enfance et ces "différences" qui se sont jouées dans la douleur, mais aussi sa relation si particulière à ses origines et ses parents, en passant par son choix de se lancer dans l’industrie pornographique.

Pendant des années, on l’a connue sous le pseudonyme de Katsuni, actrice X aux nombreux films et au succès sans précédent. Mais derrière les paillettes, Céline Tran n’a jamais voulu n’être réduite qu’à un seul rôle. Aujourd’hui coach en développement personnel, elle multiplie les activités, tantôt scénariste, tantôt blogueuse et écrivaine. Ces dernières années, elle a notamment conté son histoire dans son livre, "Ne dis pas que tu aimes ça" (Ed. La musardine), et tout récemment, Céline Tran a sorti une bande-dessinée baptisée "Itinéraire d'une garce", aux éditions Glénat. Cultiver ses différences, elle en a fait son credo, son cheval de bataille. Une force qu’elle tire d’une éducation stricte où la transmission s’est faite dans les silences d’un papa à l’histoire douloureuse.

"En tant qu’actrice X, on m’a souvent rappelé mes différences"

Née le 9 avril 1979 à Lyon, Céline Tran est le fruit d’un mélange des cultures. Sa maman est française, son père vietnamien : "Il est venu en France à son adolescence, lorsque le Vietnam était un territoire français" explique-t-elle à Manu Katché. Dès son plus jeune âge, elle prend conscience de sa "différence" à travers les autres enfants, comme souvent. C’est en se confrontant aux autres que l’on prend la mesure de nos propres distinctions. Jusqu’alors imperméable aux remarques de ses camarades, Céline Tran se souvient du jour où la réaction de son père lui a tout fait comprendre. Ce jour où elle lui raconte qu’on la traite de "chintok" dans la cour de récré. "Il l’a vraiment vraiment très mal pris, et c’est là que je me suis rendu compte de la violence du propos. J’ai compris que c’était une insulte."

Pour autant, cette prise de conscience se joue sans grandes explications de la part de son père. Seule une "colère immédiate" lui fait deviner la gravité de ce mot. "Ça a fait écho à une souffrance, parce que je sais qu’il a beaucoup subi des comportements racistes" explique aujourd’hui Céline Tran. La pudeur de son père ne lui permettra pas d’en dire plus.

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Malgré tout, Céline Tran se souvient d’une "enfance plutôt tranquille". Il lui faudra atteindre l’âge adulte pour prendre la véritable mesure de son identité. "Dans le cadre de mon travail, sachant que j’utilisais mon image, on me l’a rappelé quelques fois. Quand je me suis lancée en tant qu’actrice dans le X, l’une des premières remarques qu’on m’a faite c’est : ‘Tu ne corresponds pas aux stéréotypes de la jeune femme française.’ Les gens veulent fantasmer sur une image à laquelle ils peuvent s’identifier." Il lui faudra s’exiler aux États-Unis pour que son personnage de Katsuni ne soit pas enfermé dans des cases étriquées : "Ça a été tout l’opposé. Je me sentais totalement acceptée, accueillie. En France il y a toujours des ’t’es trop jeune, trop vieille, pas assez typée’."

Ramenée sans cesse à ses "différences", Céline Tran n’a jamais capitulé. Au contraire, elle s’en est servie comme une force : "J’ai un caractère qui aime bien ça. Quand on me dit que je ne pourrais pas le faire, là, j’ai l’héritage de mon père. C’est dans l’adversité que je me sens Viet."

"Pour mon père, être autoritaire c’est aimer"

Comment porter fièrement un héritage sans le connaitre vraiment ? À la maison, Céline Tran se souvient d’un père taiseux, mais exigent. Conscient de la chance qu’il avait eue d’échapper à une destinée sans doute précaire au Vietnam, ses plus grandes projections se sont formées autour de ses enfants. Mais la jeune Céline ne partageait pas ses ambitions : "J’ai préféré suivre ma voie plutôt que d’obéir à l’autorité. Il souhaitait le meilleur pour moi en termes de sécurité. C’était Sciences Po." Un destin tout tracé par un papa qui souhaitait que sa fille ait la chance "d’avoir une place dans la société, d’exister." La réussite sociale comme unique intégration, pour éviter les attaques faciles et racistes.

C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Céline Tran n’a pas appris le Vietnamien. "On a des prénoms français. Il a vraiment tout fait pour qu’on puisse être intégrés, pour qu’on ne souffre pas de nos origines. Il a complètement réussi. Il n’a pas voulu nous exposer à ce qu’il a traversé lui" analyse-t-elle aujourd’hui.

Avec les années, Céline Tran sait que cette très grande protection de la part de son père était surtout fondée sur "beaucoup d’amour" : "Mais je l’ai ressenti comme étant excessif ce sentiment de protection. C’est avec le recul que j’ai compris que c’était de l’affection. Pour mon père, être autoritaire c’est aimer, donc 'ne répond pas, parce que j’ai raison et je sais pour toi.'" Si leurs relations sont aujourd’hui beaucoup plus tendres qu’auparavant, tout n’a pas été d’une telle évidence entre père et fille. Céline Tran l’admet d’ailleurs : "S’il avait été comme ça, c’est évident, je n’aurais pas fait ce choix de carrière. Il manquait la complicité, l’humanité que je ne percevais pas."

"Quand il a su que j’étais actrice X, mon père m’en a parlé avec beaucoup de sérieux et de gravité"

De 2001 à 2013, Céline Tran s’est transformée en Katsuni dans de nombreux films X. Cette voie dans l’univers pornographique, aux antipodes des exigences familiales, son père en a eu vent sur le tard. "Forcément, au bout d’un moment, ça s’est su. Donc j’ai été convoquée dans son bureau. Parce que quand mon père veut parler à ses enfants, il nous convoquent dans le bureau. Il m’en a parlé avec beaucoup de sérieux et de gravité" se souvient Céline Tran. Là, face à sa fille, l’homme préfère apporter des solutions. Il lui propose même une porte de sortie : son aide financière pour qu’elle se détache de cette voie professionnelle. Toujours ce "côté très pragmatique et rationnel, pas l’émotion."

Mais Céline Tran n’a pas plié : "Je lui ai répondu en tant qu’adulte avec une réponse tout aussi rationnelle : ‘Non, c’est mon choix de carrière, j’aime ce choix, ce n’est pas négociable.’" Une réponse claire et sereine, qui n’a pourtant pas été facile à lâcher : "Ça m’a fait mal au cœur parce que j’ai su à ce moment-là que je le blessais. Ça a été pour lui un échec, mais on n’est jamais revenus là-dessus. C’est resté quelque chose de tabou." De son côté, la maman de Céline "savait depuis bien plus longtemps." "Son rôle c’est d’harmoniser les relations. Elle gardait un oeil sur moi, elle se renseignait à travers mes frères. Son rôle était de protéger mon père."

En dépit de ces efforts déployés pour préserver les liens familiaux, le chemin de vie de Céline Tran a un temps tendu l’atmosphère. Difficile d’ouvrir la discussion. Alors, c’est elle qui a fait un pas en avant. D’abord en se montrant plus expressive, en leur disant "je t’aime", en montrant le chemin de la tendresse. Mais aussi en passant par des stratagèmes pour contourner la pudeur, comme cesser les échanges téléphoniques et adopter les mails : "Et là, d’un seul coup, mon père se met à parler. Ça vaut le coup d’aller à la rencontre de ses parents, et s’il y a du mal à communiquer verbalement, ça peut se faire par écrit."

"J’ai absolument le droit de dire que j’ai du sang vietnamien, mais que je m’en fous"

Aujourd’hui plus que tout, Céline Tran se connecte aux histoires de ses parents, leurs souvenirs d’enfance, leurs amours. C’est d’ailleurs à travers ces échanges qu’elle s’est confrontée aux douleurs de son père : "Quand je lui ai demandé quel était son meilleur souvenir d’enfance, il n’y a rien qui est ressorti."

Au bout de trente années de silences autour de cet héritage, Céline Tran a engagé un "cheminement personnel, intime et très solitaire" en découvrant le Vietnam par elle-même. "Au moment où j’ai commencé à décrocher de mon ancien métier, je me suis posé la question : ‘Mais qui es-tu, et qui veux-tu être ?'" se souvient-elle. Au Vietnam, elle a pu rencontrer une partie de sa famille : "Je l’ai plus perçue comme un clan, une communauté, qu’une famille au sens émotionnel. Comme il y a un esprit de clan, il y a un lien qui suggère : ‘Aidez-nous’. On percevait quelque chose qui n’était pas de l’ordre du coeur, mais plus d’un système" regrette-t-elle.

Tous ces questionnements intérieurs ont mené Céline Tran à découvrir son histoire, son héritage... et à choisir d’en faire ce qu’elle en voulait, en se détachant des attentes de la société : "J’ai absolument le droit de dire que j’ai du sang vietnamien, mais que je m’en fous. Ce n’est pas parce que j’ai les yeux bridés que nécessairement j’ai l’obligation d’appartenir à une communauté. Moi, je me fous de tout ça. Avant de prendre en considération ce que les autres me renvoient, c’est moi, ce que je veux, ce que j’en fais." Ou comment devenir ce que l’on est...

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