Charlotte Jourdan, aidante de son fils autiste : "On ne choisit pas d'avoir un enfant malade, c'est quelque chose de terrible mais nous faisons de notre mieux"

Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.

Combattive et déterminée, Charlotte Jourdan est mère de deux enfants, dont l’un est atteint d’un autisme sévère non-verbal. Bien qu'aujourd'hui, son fils est reconnu sans autisme, elle se bat depuis des années pour faire reconnaître à part entière le statut d’aidant. Pour Yahoo, elle a accepté de raconter son histoire et de se livrer sur les douloureuses épreuves traversées au fil du temps. Un témoignage bouleversant.

La souffrance, Charlotte Jourdan la connaît. Cette femme, mère de deux enfants dont l’un est atteint d’un autisme sévère non-verbal, s’est consacrée corps et âme à son fils handicapé pendant de nombreuses années, mettant de côté sa vie professionnelle. Aujourd’hui, elle lutte contre la précarité et l’isolement du parent "aidant" en se battant pour lui donner un statut et une reconnaissance. Pour Yahoo, elle s’est livrée sur son histoire et a fait part du combat qu’elle mène depuis des années pour faire évoluer les mentalités. (Retrouvez l’intégralité de l’interview en fin d’article)

Charlotte devient maman de jumeaux à l’âge de 28 ans mais elle et son mari comprennent rapidement qu’un de leurs enfants, Arthur, souffre. "Il n’y avait aucune compréhension verbale. Il n’écoutait rien, ne comprenait rien. La vie à la maison était difficile", se souvient-elle. Conscients de la situation, ils enchaînent les visites chez les médecins pour comprendre de quoi leur fils est atteint. "J’ai tout d’abord fait vérifier sa surdité, ça n’était pas ça", raconte-t-elle tout en expliquant avoir finalement reçu le diagnostic six mois plus tard par un pédopsychiatre de l’hôpital Necker.

Au téléphone, elle et son époux apprennent qu’Arthur est atteint d’un autisme sévère non-verbal. "Là, ce sont mes rêves de petite fille qui s’effondrent. J’ai pleuré, j’ai craqué mais ça n’a pas duré longtemps. Je me suis dit que j’allais essayer de le faire évoluer, de le tirer vers le haut, de lui apporter tout ce que je pouvais. Donc très rapidement, j’ai démissionné."

VIDÉO - "Je lui ai dit qu’on allait avoir une vie de merde, une vie compliquée"

Face aux nombreux obstacles qui se profilent, elle tente alors de rassurer son deuxième fils qui, lui, n’est pas malade. "Notre vie va être compliquée. Tu es ma priorité autant que ton frère mais j’aurai moins de temps à te consacrer", lui confie-t-elle avec chagrin. Côté professionnel, elle déclare un faux chômage et se forme, en parallèle, à toutes les méthodes possibles pour aider son enfant à évoluer malgré le handicap. Par chance, ses rencontres l’amènent à participer à la création d’une classe expérimentale pour enfants autistes dans une école traditionnelle. Le tout avec la collaboration de l’hôpital Robert Debré, du ministère de l’Éducation nationale, du ministère de la Santé et du ministère de la Solidarité.

L’objectif du projet : prouver que ces classes-là font évoluer les enfants neuro-typiques et grandir les enfants lourdement handicapés. "L’inclusion peut être une bonne chose lorsqu’elle est bien encadrée et lorsqu’elle est menée par des personnes formées", rappelle-t-elle.

VIDÉO - "On a le cœur déchiré parce que l’on voit son enfant souffrir"

Confiante, elle voit rapidement les premiers progrès. Pour permette à son fils d’échanger, les éducateurs mettent en place une communication par "échange d’images". "Arthur était un enfant très visuel. À chaque fois qu’on lui donnait de l’eau par exemple, on lui montrait une image associée", explique-t-elle tout en rappelant qu’il parvenait à faire malgré tout certains bruits avec sa bouche. D’une nature optimiste, elle espère donc qu’un jour son enfant puisse prononcer le mot correspondant à ce qu’il souhaite.

Et pour son plus grand bonheur, cette méthode fonctionne. "Lorsqu’il nous donnait l’image, il avait ce qu’il voulait. Ça le calmait, il était hyper heureux. Et un jour, à l’âge de cinq ans, le mot correspondant à l’image est sorti de sa bouche", se remémore-t-elle empreinte d’émotion. Un moment de joie qu’elle ne pourrait expliquer. "Ceux qui ne traversent pas ces épreuves ne pourront jamais connaître ces instants-là. Chaque petit pas est une victoire."

VIDÉO - "Mon mari m’a quittée, c’était dégueulasse après ces huit années de souffrance"

Au fur et à mesure, Arthur s’épanouit. "Il s’amuse, parle, fait des blagues. Il est bien dans sa peau", explique-t-elle précisant qu’il n’avait, à ce moment-là, plus besoin d’accompagnement. À ses 10 ans, un nouveau diagnostic est établi, un bilan qui met tous ses proches en joie. La synthèse met en lumière une absence d’autisme, une excellente nouvelle source de changements.

"Nous avions beaucoup souffert et nous avons eu l’opportunité de partir vivre à Bordeaux. J’étais persuadée qu’on serait extrêmement heureux d’enfin vivre cette vie dont j’avais toujours rêvé." Seulement voilà : écorché par cette vie, ponctuée d’épreuves douloureuses, son mari la quitte. Elle tombe alors dans une sombre période. "Ça a été compliqué de comprendre qu’il puisse ne plus m’aimer. Et puis, je trouvais ça dégueulasse qu’il puisse nous laisser après ces huit années que l’on venait de traverser", confie-t-elle.

VIDÉO - "Tout ce travail fait bénévolement n’est absolument pas reconnu"

Le divorce se fait à l’amiable, une période douloureuse à surmonter qui lui rappelle les concessions faites pour son enfant. "J’ai perdu ma carrière professionnelle et donc beaucoup d’annuités retraite. À ce moment, je m’aperçois réellement le manque de reconnaissance du statut d’aidant, il y a un réel vide juridique", déplore-t-elle en rappelant tout le travail accompli pendant les huit dernières années. "J'ai participé à la création de la classe soleil en collaboration avec le gouvernement, j'ai monté ma propre association, j'ai trouvé les fonds nécessaires pour prendre en charge Arthur et j'ai été la maman aidante de mon fils avec une présence H24 auprès de lui."

Ne se sentant pas reconnue à sa juste valeur, Charlotte décide de travailler sur l’enrichissement d’une loi en faveur du parent aidant. L’objectif : lui donner un statut et une reconnaissance, valoriser les nombreuses compétences acquises pour accompagner le retour à l’emploi et lutter contre la grande précarité au moment de la retraite. "On ne choisit pas d'avoir un enfant malade, c'est quelque chose de terrible dans une vie et nous faisons de notre mieux quelle que soit la décision que nous prenons", rappelle-t-elle.

VIDÉO - "Son cerveau était en train de saigner de partout, les médecins ont dit que c’était foutu"

Malheureusement pour elle, ce renouveau professionnel est interrompu par un drame. Alors qu’elle se trouve à 800 kilomètres de ses proches, Arthur, son fils de 16 ans, fait un grave AVC hémorragique non diagnostiqué par les médecins du SAMU. Pensant qu’il s’agit d’un malaise vagal, ils laissent à terre l’adolescent plus d’1h30 avant de se rendre compte de la gravité de la situation. Sans certitude qu’Arthur survive au transport, il est transféré à l’hôpital pour subir l’opération de la dernière chance. Les médecins, d’ores et déjà défaitistes, annoncent aux parents la forte probabilité qu’il ne passe pas la nuit. Dans le cas contraire, il aurait de graves séquelles.

Charlotte met alors tout en œuvre pour arriver le plus rapidement possible. "Ma peur était qu’il meurt avant que je ne sois là". Par chance, Arthur ressort de cette épreuve vivant mais lourdement handicapé. "Il est paralysé d’un côté, atteint d’une aphasie, c’est bouleversant", rappelle-t-elle tout en expliquant avoir vu son deuxième fils sombrer. "Il perd pied. Après huit ans d’aidance, il a dû faire face à la mort annoncée de son frère dont il était spectateur. C’était trop". Leurs prières ont finalement porté leurs fruits puisque, huit mois plus tard, Arthur avait remonté la pente et ne présentait plus aucune séquelle.

Retrouvez en intégralité l'interview de Charlotte Jourdan