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Covid-19 : le gouvernement peut-il obliger les personnes positives au coronavirus à s'isoler ?

Le gouvernement souhaite que l'isolement des personnes atteintes du coronavirus soit mieux respecter, quitte à devoir faire passer des mesures "contraignantes".
Le gouvernement souhaite que l'isolement des personnes atteintes du coronavirus soit mieux respecter, quitte à devoir faire passer des mesures "contraignantes".

Emmanuel Macron l’a évoqué dans ces annonces, Jean Castex l’a confirmé : le gouvernement prévoit une loi pour assurer l’isolement des malades du Covid-19, quitte à ce qu’elle soit “contraignante”. En a-t-il le droit ?

C’était une demande du collectif France Assos Santé, l’une des annonces d’Emmanuel Macron, et ce sera bientôt un projet de loi : l’idée de contraindre à l’isolement - avec des sanctions si besoin - les personnes positives au Covid-19 ou les cas contacts.

Lors de son allocution du mardi 24 novembre, le chef de l’État a assuré qu’un “vrai débat démocratique” aurait lieu sur la question, tout en demandant au gouvernement et au Parlement de plancher sur “les conditions pour s'assurer de l'isolement des personnes contaminées, y compris de manière plus contraignante”. Le but, c’est de s’assurer que cette mise à l’écart soit mieux respectée.

Si le député du Haut-Rhin Olivier Becht, président du groupe Agir Ensemble, a déposé ce 25 novembre une proposition de loi allant dans ce sens, le gouvernement devrait déposer son propre projet de loi, comme l’a annoncé le Premier ministre, Jean Castex, ce jeudi 26 novembre. “Nous voulons avoir notre propre texte”, a-t-il précisé au cours de la conférence de presse, affirmant que l’intention n’était pas “de contrôler pour contrôler, mais de mieux faire respecter l’isolement”. Il n’a cependant pas donné les détails sur la mise en oeuvre de ces futurs contrôles, ni sur les sanctions qui les accompagnent.

La priorité donnée à la santé

Mais l’État peut-il imposer à une personne malade de rester à l’isolement ? Pour David Levy, avocat au barreau de Paris, pour qu’une telle mesure soit légale, elle doit répondre à plusieurs critères. Comme il nous le rappelle, “le principe dans notre Constitution, c’est que la liberté est la règle, et la restriction est l'exception”.

Donc, pour qu’une restriction soit juridiquement acceptée, elle doit répondre à ces trois questions : “Est-ce qu’elle est nécessaire ? Est-ce qu’elle est adaptée à la situation ? Et est-ce qu’elle est proportionnée - c’est-à-dire est-ce qu’elle répond strictement au problème que l’on veut régler ou est-ce qu’elle va au-delà de l’objectif à atteindre ?”, énumère le spécialiste.

L’autre problématique autour de cette mesure souhaitée par le gouvernement, c’est qu’elle met en contradiction plusieurs libertés. L’article 11 du préambule de la Constitution de 1946 garantit la protection de la santé. Mais, en parallèle, “on a des libertés tout aussi fondamentales, comme la liberté d’aller et venir ou la liberté d’entreprendre”, souligne maître David Levy. Toutes ont la même valeur en droit. Or, depuis le début de la crise sanitaire - notamment avec les confinements, les couvre-feux, mais aussi les restrictions sur certaines activités - “on a fait le choix de donner la priorité à la santé”, résume-t-il.

VIDÉO - Coronavirus : faut-il obliger les malades à s'isoler ?

La distinction entre malades et non malade “rationnelle”

Toutes les restrictions qui sont entrées en vigueur jusqu’ici, dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, ont donc été considérées comme “nécessaires, proportionnées et adaptées”. Il pourrait en être de même pour ce qui est d’obliger les personnes atteintes du Covid-19 ou leurs cas contacts à rester chez eux. Le gouvernement pourrait notamment avancer l’argument que cette mesure permet de prévenir un risque de trouble à l’ordre sanitaire, en évitant que les personnes atteintes du coronavirus n’en contaminent d’autres.

Sur la question de savoir si la mesure est adaptée, il pourrait s’appuyer sur des arguments scientifiques pour prouver son efficacité. Il faut par ailleurs que cette restriction n’outrepasse pas son objectif - celui de réduire la propagation du virus.

Mais cette mesure touche à un autre principe : celui d’égalité. “Normalement, toutes les personnes, dans une situation donnée, doivent être traitée indifféremment, sans discrimination”, nous précise maître David Levy. Pour apporter une exception au principe d’égalité, “il faut mettre en avant des critères objectifs”, poursuit-il. Or, “quand il y a un objectif de santé publique, faire la distinction entre les personnes malades et les personnes non malades, c’est quelque chose de très rationnel”, commente Guillaume Tusseau, professeur à l’école de droit de Sciences Po, “le Conseil Constitutionnel ne devrait pas bloquer là-dessus”.

Un outil déjà à disposition

Dans ces conditions, il est tout à fait possible qu’une telle loi soit adoptée. D’ailleurs, le gouvernement dispose déjà d’un outil allant en ce sens. “Avec l’article L31 31-15 du code de la Santé publique, il y a les dispositions pour maintenir les gens en quarantaine ou chez eux si nécessaire”, nous explique Guillaume Tusseau. Le texte précise que : “Dans le cadre des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement, il peut être fait obligation à la personne qui en fait l'objet de ne pas sortir de son domicile ou du lieu d'hébergement où elle exécute la mesure, sous réserve des déplacements qui lui sont spécifiquement autorisés par l'autorité administrative.”

Ce qu’un projet de loi pourrait apporter de plus, c’est d’une part que cette restriction s’applique en dehors de l’état d’urgence - l’article L31 31 “ne peut s’appliquer que sur les territoires où l’état d’urgence sanitaire est en vigueur”, détaille le professeur de droit - et d’autre part, qu’elle s’accompagne de sanctions. Ce qui n’est pas le cas avec le code de la Santé publique. “C’est sur ce point que le Conseil Constitutionnel pourrait éventuellement tiquer, en avançant notamment que la sanction est disproportionnée”, commente Guillaume Tusseau.

Quels délais pour cette future loi ?

Dans quels délais une telle loi peut-elle entrer en vigueur ? “Le délais moyen d’examen d’une loi, c’est six mois. Mais en théorie, le plus rapide, c’est quelques jours”, avance le spécialiste, qui nous rappelle que lors du premier confinement, l’une des lois a été adoptée en seulement quatre jours.

Les étapes sont tout de même nombreuses : une fois que le texte est déposé devant l’Assemblée nationale, il doit passer en commission, puis être examiné et adopté en assemblée plénière. Il est ensuite envoyé au Sénat, où il est examiné en commission puis en plénière. “Dans la situation actuelle, la procédure sera probablement accélérée, avec une seule lecture par assemblée au lieu de deux”, complète le professeur de droit. Si les deux chambres sont d’accord, le texte peut-être promulgué. Sinon, il repart à l’Assemblée nationale - et le gouvernement peut décider qu’elle a le dernier mot.

Dernière étape, enfin, le Conseil constitutionnel est saisi. “En ce moment, il fait des efforts pour juger très vite ce genre de sujets”, poursuit le spécialiste. En quelques jours, la décision peut être rendue. Si elle est favorable, le texte entre alors en vigueur. Il est donc tout à fait possible que les personnes atteintes du Covid-19 ou cas contacts soient contraintes de rester à l’isolement dans les prochaines semaines. Reste à savoir quelles sanctions peuvent être prévues.

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