Publicité

Coronavirus: où en sont les procédures judiciaires?

Le palais de justice de Paris (PHOTO D'ILLUSTRATION). - ALAIN JOCARD / AFP
Le palais de justice de Paris (PHOTO D'ILLUSTRATION). - ALAIN JOCARD / AFP

Pendant que les ministres de la Santé défilent en salle des commissions à l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur la gestion de la crise du coronavirus, la justice fait face à un afflux inédit de plaintes et recours. Émanant de particuliers ou de collectifs, ils visent à faire la lumière sur de possibles manquements de la part des autorités mais aussi d'établissements de santé pour lutter contre la pandémie mondiale, qui a tué près de 30.000 personnes en France.

Alors que la Cour de justice de la République (CJR) doit annoncer ce vendredi le nombre de plaintes recevables, BFMTV.com fait le point sur les différentes procédures en cours.

• Une "enquête-chapeau" du pôle santé de Paris

Au 25 juin, les quatre magistrats du pôle santé du parquet de Paris avaient reçu 75 plaintes liées à la crise sanitaire. Une grande majorité émane de particuliers et repose sur le modèle du site plaintecovid.fr, nous précise le parquet de Paris. Lancée par l'humoriste Bruno Gaccio, la plateforme propose trois plaintes types pour le personnel médical, une personne contaminée ou un particulier non-malade pour une "abstention volontaire de prendre les mesures visant à combattre un sinistre". Les 18 pages d'argumentaire dénoncent notamment le maintien des élections municipales et la gestion des stocks de masques.

Des associations et des syndicats sont à l'origine d'un peu plus d’une dizaine d'autres procédures. Leurs plaintes sont souvent déposées contre X mais certaines s’attaquent directement à des figures de l'administration, comme Jérôme Salomon, directeur général de la Santé. Le plus souvent, les procédures sont engagées pour "homicides involontaires", "blessures involontaires", "mise en danger de la vie d’autrui" et "non assistance à personne en danger". Si la justice estime qu'il y a suffisamment d'éléments pour une mise en examen, les mis en cause risquent jusqu'à cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende.

Toutes ces plaintes sont examinées par le parquet de Paris, qui a annoncé le 8 juin l’ouverture d’une vaste enquête préliminaire sur la gestion de la crise du coronavirus en France. Elle a été confiée à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), où une cellule dédiée de neuf enquêteurs a été constituée.

“S'il y a des fautes pénales, ce seront très probablement - c'est une hypothèse - des fautes non intentionnelles. Or la loi fixe des conditions précises pour établir ces délits: elle exige la preuve d'une faute qualifiée qui n'est pas une simple imprudence ou négligence", avait déclaré le procureur de Paris Rémy Heitz.

Concrètement, cela signifie que les magistrats vont devoir prouver que des personnes ont délibérément commis des fautes en sachant qu'elles faisaient courir un risque à la population.

Deux collectifs de soignants, Inter-Urgences et C19, ont par ailleurs déposé cette semaine une nouvelle plainte, cette fois avec constitution de partie civile pour pousser l'ouverture d'une information judiciaire et la désignation d'un juge d'instruction sur la crise. Cette plainte n'est pas traitée par le parquet de Paris mais par le doyen des juges d'instruction.

• Des plaintes contre des ministres auprès de la CJR

La Cour de justice de la République est la juridiction devant laquelle les membres du gouvernement peuvent être poursuivis pour un acte commis durant leur mandat. Au 30 juin, la CJR indique à BFMTV.com avoir reçu 88 plaintes: la commission des requêtes doit annoncer ce vendredi après-midi lesquelles sont recevables ou classées sans suite.

Elles visent notamment les ministres les plus concernés par la crise: le Premier ministre Édouard Philippe, l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn ou son successeur Olivier Véran. Mais d'autres membres de l'exécutif sont concernés: la ministre de la Justice Nicole Belloubet est ainsi visée par la CGT-pénitentiaire, qui dénonce une mise en danger des surveillants non-équipés en masques au début de l'épidémie ainsi que pour le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, pour le même motif, par le syndicat policier Vigi. Florence Parly, ministre des Armées, qui avait participé au conseil de défense dix jours avant le début du confinement, est aussi mise en cause. Enfin, Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, est également ciblée.

"Une minorité" de plaintes ont été déposées par des citoyens dont un proche ou lui-même a été contaminé par le coronavirus, souligne Annabelle Philippe, avocate générale référendaire auprès de la Cassation, ajoutant qu’une “majorité” de plainte vise la gestion de la crise globale. Certaines restent donc vagues et ne sont pas motivées.

Là encore, les plaintes concernent des faits involontaires. Comme nous l’évoquions en mars, des plaignants s’appuient également sur l’article 223-7 du Code pénal, définissant le délit d’entrave aux mesures d’assistance, qui dispose que "le fait d'entraver volontairement l'arrivée de secours destinés à faire échapper une personne à un péril imminent ou à combattre un sinistre présentant un danger pour la sécurité des personnes est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende".

• Des enquêtes locales sur la gestion de la crise dans les Ehpad

Plusieurs enquêtes judiciaires locales visent des établissements médico-sociaux accueillant des personnes âgées - qui concentrent plus d'un tiers des morts du Covid-19 en France -. À la suite de plusieurs plaintes contre X déposées par des proches de résidents morts du coronavirus, le parquet de Nanterre a ainsi ouvert des enquêtes préliminaires pour trois Ehpad des Hauts-de-Seine, à Clichy-la-Garenne, Clamart et Chaville. Le pôle santé du parquet de Paris enquête aussi sur deux établissements parisiens du 9e et du 12e arrondissement.

Enfin, une enquête préliminaire pour "homicides involontaires" a été ouverte pour l’Ehpad de Mougins, appartenant au groupe Korian et dans laquelle une quarantaine de résidents ont été emportés par l'épidémie. Mardi, le procureur de la République de Chartres a à son tour ouvert une enquête suite à une plainte déposée contre X pour “mise en danger délibérée d’autrui, non assistance à personne en danger et homicide involontaire”, concernant la mort d’une pensionnaire de 78 ans, rapporte L’Écho Républicain.

À ce jour, les différentes procédures sont dispersées sur le territoire. “Rien ne semble coordonné”, regrette auprès de BFMTV.com l’avocate Géraldine Adraï-Lachkar, spécialiste du droit de la santé. Avec plusieurs confrères, elle plaide pour un regroupement de toutes les plaintes liées au coronavirus dans les Ehpad à Marseille, seconde juridiction compétente avec Paris pour les affaires de santé. Une source judiciaire nous indique que ce regroupement est effectivement à l’étude, mais que la question n’a pas encore été tranchée.

• Des recours devant la juridiction administrative

Depuis le début de la crise sanitaire, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, a été saisi à 230 reprises par un recours en référé en lien avec la gestion de la crise du Covid-19. Un record. Parmi eux, 162 concernaient une atteinte aux libertés fondamentales, comme l’interdiction de rassemblement dans les lieux de culte après le déconfinement ou les limitations à la liberté de manifester.

Au 25 juin, le Conseil d’État avait déjà tranché sur 218 recours en référé. Le Conseil d’État explique à BFMTV.com que sur l’ensemble des recours, 60% ont été instruits, tandis que 40% ont été rejetés, au motif que la juridiction n’était pas compétente ou qu’il ne s’agissait pas d’une urgence.

À l’échelle locale, de nombreux recours ont été déposés devant des tribunaux administratifs pour des motifs variés, comme le retour de tous les enfants à l’école ou l’organisation des élections municipales. Un avocat qui représente deux familles de victimes du coronavirus indique à BFMTV.com que des plaintes pour "faute lourde de l’État" pourrait également être déposées ces prochains jours devant l’ordre administratif. "À l’inverse du pénal, l’administratif permet une indemnisation des ayants droit plus rapide", note-t-il.

Article original publié sur BFMTV.com