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Covid-19 : la France, "terrain de jeu pour les variants" comme le Brésil et l'Inde

Photo d'illustration

La stratégie de la France face au Covid pourrait favoriser l'émergence de variants, comme en Inde ou au Brésil, selon plusieurs spécialistes.

Après la Grande-Bretagne en décembre, c'est au tour du Brésil et de l'Inde d'attirer les yeux du monde entier en raison de l'émergence inquiétante de variants. La France pourrait bientôt à son tour être au cœur des inquiétudes, estiment des spécialistes.

Au Brésil, l'un des nombreux variants, le "P1", est responsable de l'effondrement du système sanitaire dans le pays et inquiète de nombreux pays dont la France qui ont décidé de couper leurs liaisons aériennes avec le Brésil pour ralentir la propagation de ce variant. Au-delà du variant P1, l’Institut Fiocruz a identifié 92 autres mutations du coronavirus en circulation au Brésil, selon une étude publiée mardi 13 avril.

L'Inde et le Brésil, terres propices à l'émergence de variants

En Inde, c'est le variant "double mutant" B.1.617 qui inquiète et qui serait à l'origine de la situation sanitaire catastrophique dans plusieurs États. Plusieurs pays dont le Royaume-Uni ont imposé de sévères restrictions aux voyageurs revenant d'Inde, mais la France n'a pas pris de mesures.

L'Inde et le Brésil, deux pays qui ont en commun d'avoir une forte circulation virale, propice à l'émergence de variants. D'un côté, la politique décriée de Jair Bolsonaro, qui continue de nuer la gravité de la situation et maintient sa volonté de "vivre avec le virus". De l'autre, l'Inde et ses 1,3 milliard d'habitants qui font face à une importante vague de contaminations et à un nombre de cas sous-évalué selon de nombreux experts.

La France largement devant ses voisins en nombre de contaminations

"En laissant le virus circuler activement sur un territoire, à des niveaux de plus en plus élevés, on favorise l'évolution virale. Plus ces infections se propagent, plus on sélectionne des mutants de plus en plus transmissibles. En parallèle, la population s'immunise ce qui fait croître la pression de sélection sur ces mutants, et favorise donc l'apparition de variants plus résistants à l'immunité", nous rappelle le biologiste Claude-Alexandre Gustave.

La France est actuellement l'un des pays d'Europe où le virus circule le plus activement, avec 484 cas par million d'habitants sur les sept derniers jours. Soit plus de deux fois plus de cas que l'Allemagne et l'Italie (244 cas), trois fois plus que l'Espagne (182 cas), et plus de 10 fois plus que le Royaume-Uni (39 cas). Seuls la Croatie (531 cas) et la Suède (604 cas par million d'habitants) font pire.

Le nombre de cas de Covid par million d'habitants en Europe/
Le nombre de cas de Covid par million d'habitants en Europe/

"La France fait tout pour faire émerger un variant français"

"Une bonne campagne de vaccination a lieu quand le virus circule peu. Là, on vaccine lentement, avec un très haut niveau de circulation du virus, et sans prendre de mesure pour faire chuter fortement la courbe du virus. Avec cette campagne de vaccination et la stratégie de 'vivre avec le virus', qui maintient un haut niveau de circulation pendant plusieurs semaines, la France fait tout faire émerger un variant français" déplore Philippe Froguel, généticien et endocrinologue au CHRU de Lille.

La France a déjà enregistré deux variants qui n'avaient jusqu'à présent pas été détectés ailleurs : le variant breton, difficilement détectable avec les tests PCR, et le variant Mondor, qui aurait la mutation L452R comme le variant californien caractérisée par une transmissibilité accrue et un échappement au moins partiel à l'immunité cellulaire.

Un séquençage insuffisant en France ?

Selon le dernier bulletin de Santé publique France ces deux variants français classés "à suivre" restent marginaux, avec 1,4% des nouvelles infections à la fin du mois de mars pour le variant Mondor et 32 cas pour le variant, breton, un résultat infime. Les variants sud-africain et brésilien représentent 3,8% à eux deux des tests criblés selon Santé publique France, et 83,1% pour le variant britannique. À lui seul, le variant brésilien P1 ne représente que 0,3% des nouvelles infections.

Mais attention aux chiffres, alertent les spécialistes. "Les capacités de dépistage et de séquençage sont limitées et ne permettent de percevoir qu'une fraction de l'épidémie réelle", rappelle le biologiste Claude-Alexandre Gustave. "Il y a "2 000 à 3 000" séquençages réalisés en France chaque semaine, contre un objectif de 6 000 à 10 000. On a un manque cruel d'ambition sur le séquençage. On est censé surveiller le virus, mais en ne faisant du séquençage lors d'enquête flash qui mettent 15 jours à donner des résultats, ça ne reflète rien du tout. On ne voit qu'une infime partie de la réalité " renchérit Philippe Froguel, alors que la France enregistre plus de 220 000 cas positifs par semaine.

Un manque de restrictions aux frontières

"Autre élément qui peut favoriser l'apparition d'un variant en France, l'absence de mesure de protection aux frontières pour éviter la propagation des autres variants. "En décembre on demandait de fermer rapidement la frontière avec le Royaume Uni, ça n'a pas été fait, le variant britannique est devenu majoritaire. Depuis fin mars, on alerte sur le Brésil, on a mis des semaines à réagir. Aujourd'hui, on alerte sur l'Inde, et là non plus rien n'est fait", déplore Philippe Froguel, qui s'inquiète surtout de l'apparition d'un variant de variant.

VIDEO - Ce qu'il faut faire face au variant brésilien

La crainte d'un variant de variant

"Au-delà de l'apparition d'un nouveau variant, il y a aussi le risque qu'un variant déjà existant, comme le variant anglais, ne mute à son tour pour donner un nouveau variant qui garderait sa forte transmission mais gagnerait en échappement immunitaire". Une mutation du variant anglais a déjà été repérée début février, en Angleterre et au Pays de Galles.

Entre naissance de variants français et insuffisance des mesures aux frontières la France devient un "terrain de jeu pour les variants, où des co-infections peuvent se produire fréquemment en raison du niveau très élevé d'incidence. Ces co-infections sont autant d'occasion de recombinaisons entre variants ce qui entraine une diversité virale supplémentaire", redoute Claude-Alexandre Gustave, qui prend l'exemple du variant indien.

"Les pays qui laissent circuler le virus seront la source de nouveaux variants"

Selon la base de données GISAID, 23% des génomes associés au variant indien B.1.617 ont été isolés au Royaume-Uni. "Avec les liens entre le Royaume-Uni et la France, on peut craindre que ce variant soit déjà en France", estime-t-il, augmentant ainsi le risque d'une recombinaison avec d'autres variants. "Les pays qui laissent circuler le virus activement seront tôt ou tard la source de nouveaux variants plus transmissibles, en échappement immunitaires, voire plus virulents".

Avec l'un des taux d'incidence les plus élevés d'Europe depuis plusieurs semaines et des mesures qui peinent à faire diminuer les nouvelles contaminations, la France semble un terrain propice à la naissance d'un nouveau variant, ou à une mutation d'un variant déjà existant.

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