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La grotte Mandrin révèle de nouveaux secrets sur Homo sapiens

L'équipe de Ludovic Slimak dans la grotte Mandrin (Photo: Getty/Ludovic Slimak)
L'équipe de Ludovic Slimak dans la grotte Mandrin (Photo: Getty/Ludovic Slimak)

PALÉONTHOLOGIE - Une découverte “aussi incroyable que celle de la grotte Chauvet en 1994”: le paléoanthropologue Ludovic Slimak n’y va pas par quatre chemins pour qualifier “sa” grotte et son histoire. Il faut dire que cette dernière est hors du commun. La grotte Mandrin, située à une dizaine de kilomètres au sud de Montélimar (Drôme), recelerait la preuve que l’homme de Néandertal et l’homme moderne ont successivement habité la même caverne, dans un intervalle d’à peine une année.

Dans un article parue dans la revue Science ce mercredi 9 février, l’équipe de Ludovic Slimak fait un double constat, qui pourrait changer la façon dont le voyage d’homo sapiens est étudié. D’abord, notre ancêtre aurait mis pour la première fois les pieds dans la grotte Mandrin 56.000 ans avant notre ère: c’est 10.000 ans plus tôt que ne l’avait établi l’anthropologie jusqu’ici.

Cherche appartement à louer

Deuxième découverte, l’appartement loué par homo sapiens pendant une quarantaine d’années était en réalité un “time share”. En effet, le locataire précédent, l’homme de Néandertal, ne se serait éclipsé de la grotte que pour revenir après le départ des nouveaux arrivants. Combien de temps après? Une année, voire moins. En paléoanthropologie, c’est à peine l’épaisseur du trait. Ils pourraient même s’y être croisés.

L'équipe de Ludovic Slimak travaillant dans la grotte Mandrin (Photo: Ludovic Slimak)
L'équipe de Ludovic Slimak travaillant dans la grotte Mandrin (Photo: Ludovic Slimak)

“On sait qu’ils ont été là à un an d’intervalle, mais on n’a pas trouvé de restes humains dans les mêmes niveaux sédimentaires”, explique au HuffPost Clément Zanolli, paléoanthropologue à l’université de Bordeaux et membre de l’équipe de la grotte Mandrin, “mais très clairement, ils étaient dans le même territoire, et se sont donc très probablement rencontrés”. En clair, un groupe d’Homo sapiens évoluant dans la région a très bien pu tomber sur ses cousins Néandertal en plein emménagement. Et cela expliquerait pas mal de choses.

“La paléogénétique nous dit qu’il y a des hybridations”, poursuit Clément Zanolli, “et nous possédons nous-même de l’ADN de Néandertal”. C’est donc bien qu’il y a eu contact entre les deux populations, et pas seulement pour s’entretuer. La grotte Mandrin et ses alentours pourrait être l’un des lieux de cette rencontre, une première en Europe. “Au proche et au moyen-orient il existe quelques sites où on sait que les deux groupes vivaient”, mais ici “aucun site ne démontre la co-occurence des groupes humains au même endroit”.

Voyage depuis le Liban

Magie de la grotte Mandrin? C’est plutôt la vallée du Rhône, au coeur de laquelle elle se niche, qui pourrait en être la responsable. “Le Rhône est l’une des plus grandes rivières d’Europe, et le seul passage de la côté méditerranéenne vers l’Europe continentale” analyse ainsi Ludovic Slimak. Des populations nomades auraient été contraintes d’emprunter le même chemin: l’homo sapiens au début de son histoire, et l’homme de Néandertal au crépuscule de la sienne. Mais c’est justement ce chemin qu’il faudrait éclaircir.

Pour déduire avec une telle précision chronologique la présence d’Homo sapiens dans la grotte Mandrin, les chercheurs se sont largement appuyés sur des outils retrouvés dans les sédiments. Tous font partie d’une technologie nommée le Néronien, avec des lames et des pointes très fines, d’une complexité dont Néandertal était incapable. Or cette technique avancée n’a jusqu’ici été retrouvée que dans des fouilles menées au Liban, à 3000 kilomètres de la vallée du Rhône.

Une théorie à consolider

Pour Ludovic Slimak, “c’est la preuve que les premiers homo sapiens sont arrivés par des routes maritimes”, ce qui expliquerait l’absence d’outils de ce genre dans les grottes de Grèce ou d’Italie. Mais le paléoanthropologue et chercheur au CNRS Francesco d’Errico, sans rejeter totalement cette possibilité, y voit une faille possible de l’analyse.

“Ce néronien est assez différent de celui que l’on retrouve au moyen-orient” tempère-t-il ainsi, ajoutant que “les autres outils retrouvés dans les mêmes couches sédimentaires ne sont pas ceux que l’on retrouve là-bas”. Ajoutée à l’absence d’outils sur la route qu’aurait pris homo sapiens, cette constatation fragilise la découverte française.

Silex retrouvé dans la grotte Mandrin (Photo: Ludovic Slimak)
Silex retrouvé dans la grotte Mandrin (Photo: Ludovic Slimak)

D’autant que l’étude s’appuie également sur une dent d’homo sapiens pour dater leur présence, une preuve qui prête également le plan à la critique. “Les dents peuvent se balader dans les couches archéologiques” résume le chercheur. La présence d’homo sapiens, si la dent était mal datée, pourrait ne pas être aussi simultanée qu’espérée avec Néandertal. Mais s’il est prudent, le scientifique ne nie pas le potentiel de cette découverte.

″C’est potentiellement très intéressant, cela pourrait représenter un changement de paradigme”, s’enthousiasme-t-il même. “Mais beaucoup de choses sont dites qui vont devoir être vérifiées dans d’autres sites.” Cela tombe bien, c’est également l’avis de l’équipe de la grotte Mandrin, qui annonce déjà “de nouvelles découvertes fascinantes dans les mois et les années qui viennent”.

À voir également sur Le HuffPost: Le crane virtuel de l’ancêtre commun d’Homo sapiens ressemblerait à ça

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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