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Les émetteurs émergents se bousculent avant la Fed

par Claire Milhench

LONDRES (Reuters) - Des banques turques, un producteur ukrainien d'huile de tournesol, des pays en difficulté comme le Nigeria ou l'Egypte : les emprunteurs en quête de financement en dollars se sont bousculés ces dernières semaines avant une hausse annoncée des taux directeurs par la Réserve fédérale et profitant d'une solide demande de la part des investisseurs.

Une hausse de taux directeurs par la Fed cette semaine est désormais considérée comme acquise mais les emprunteurs redoutent que le rythme du resserrement monétaire s'accélère aux Etats-Unis. Quatre hausses de taux pourraient désormais être dans les cartes pour cette année contre trois seulement, il y a peu encore.

Avec des rendements des obligations du Trésor américain, référence pour l'ensemble des marchés de taux mondiaux, à des plus hauts de trois mois, les entreprises comme les gouvernements des pays émergents veulent lever des fonds avant que les coûts de financement n'augmentent encore.

"Il y avait un fort désir de faire appel au marché aussi vite que possible. C'est un peu la carotte et le bâton, la carotte étant la demande des investisseurs et le bâton qu'elle pourrait ne pas être aussi soutenue après la hausse des taux aux Etats-Unis", a dit Ranko Milic, responsable des produits de dettes pour l'Europe centrale et orientale chez UBS.

Les émissions obligataires par les seules entreprises de pays émergents ont totalisé 75 milliards de dollars (70,3 milliards d'euros) entre le début de l'année et le 8 mars, selon JP Morgan. En février, elles ont atteint 33 milliards de dollars contre une moyenne de 20 milliards par mois ces dernières années, souligne la banque.

Les émissions souveraines ont représenté 38,5 milliards de dollars, a ajouté JP Morgan, l'Argentine et la Turquie ayant levé 7 milliards et 3 milliards de dollars respectivement. Les montants émis depuis le début de l'année représentent déjà la moitié de la prévision des émissions pour l'ensemble de 2017 que la banque avait faite.

Les données de Thomson Reuters montrent que les émissions des entreprises et des gouvernements des pays émergents ont porté sur 137 milliards de dollars entre le début de l'année et le 10 mars, dont 91 milliards levés par les premières.

Si les investisseurs demeurent attirés par les rendements élevés offerts par les emprunteurs émergents, Ranko Milic note que la perspective de resserrements monétaires aux Etats-Unis a poussé les émetteurs potentiels à accélérer leur appel au marché.

SOUS-PONDERATION CHRONIQUE

Plusieurs entreprises se sont lancées dans des présentations auprès des investisseurs sur la base de leurs résultats sur neuf mois sans attendre la publication de leurs comptes annuels, relève-t-il citant notamment le russe Rusal.

Le producteur d'huile de tournesol Kernel a mis un terme à trois années d'absence d'émetteurs ukrainiens sur le marché obligataire en dollar et d'autres opérations sont dans les tuyaux.

Le sidérurgiste russe Evraz présente lundi une émission aux investisseurs tout la comme la Croatie et le Koweït, ce dernier étant attendu pour un montant pouvant aller jusqu'à 10 milliards de dollars.

Le géant russe du gaz, Gazprom, se prépare aussi à tester le marché obligataire en dollar pour la première fois depuis trois ans.

Les nouvelles émissions bénéficient d'une demande soutenue alimentée par des flux de souscriptions nettes sur les fonds d'investissement collectifs dédiés à la dette émergente qui ont atteint 12 milliards de dollars depuis le début de cette année, selon des données du cabinet spécialisé EPFR Global.

Des intervenants de marché expliquent aussi cette ruée sur le marché primaire par le creux qui avait suivi en fin d'année dernière l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.

Régis Chatellier, stratégiste sur les marchés du crédit à la Société générale, voit dans les émissions d'un milliard de dollard par le Nigéria et de 4 milliards de dollars par l'Egypte des exemples de souverains dont les notes de crédit sont basses et qui ont voulu lever des fonds avant la hausse de taux de la Fed. Le Nigeria a dû payer une prime de 130 points de base par rapport à son emprunt 2023 pour que l'opération puisse se faire.

Mais les investisseurs sont au rendez-vous et les livres d'ordre de la plupart des émissions - même celles du Nigeria, de l'Egypte ou de la Turquie - ont largement dépassé les montants offerts.

"Il y a eu une sous-pondération structurelle des marchés émergents, qui s'est accumulée, et de ce point de vue les nouvelles offres ont été aisément absorbées", a dit Chia-Liang Lian, responsable de la dette émergente chez Western Asset.

(avec Sujata Rao et Sandrine Bradley, Marc Joanny pour le service français, édité par Véronique Tison)