Sous-marins : Paris en colère contre l'Australie et les Etats-Unis après la rupture du contrat

La France a fustigé Canberra et Washington jeudi, dénonçant un "coup dans le dos" australien et une décision "brutale" de Joe Biden après l'annonce d'un partenariat stratégique entre l'Australie, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui a conduit à la rupture d'un gigantesque contrat de fourniture de sous-marins français à l'Australie.

Washington a annoncé dans la journée que la France avait été avertie en amont de cette nouvelle alliance, ce que Paris a démenti.

"Nous n'avons pas été informés de ce projet avant la publication des premières informations dans la presse américaine et australienne, qui elles-mêmes ont précédé de quelques heures l'annonce officielle de Joe Biden", a déclaré à l'AFP le porte-parole de l'ambassade de France à Washington, Pascal Confavreux.

Paris tout colère

"C'est vraiment, en bon français, un coup dans le dos", s'est indigné le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian sur la radio France Info, se disant "en colère, avec beaucoup d'amertume".

"Nous avions établi avec l'Australie une relations de confiance. Cette confiance est trahie", a lancé Jean-Yves Le Drian, qui avait conclu le "contrat du siècle" sur les sous-marins lorsqu'il était ministre de la Défense.

Au même moment, la ministre des Armées Florence Parly déplorait sur RFI "une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée" et une décision "grave" en matière de politique internationale.

Le Premier ministre australien Scott Morrison a annoncé jeudi la rupture de ce gigantesque contrat de 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d'euros, sur toute la longueur) conclu en 2016 avec la France pour la fourniture de sous-marins conventionnels.

Canberra a préféré conclure un partenariat stratégique avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne comprenant notamment la livraison de sous-marins à propulsion nucléaire par Washington.

Les deux ministres français n'ont pas non plus mâché leurs mots vis-à-vis du président américain Joe Biden, accusé de piétiner ses alliés.

"Cette décision unilatérale, brutale, imprévisible ressemble beaucoup à ce que faisait Monsieur Trump"

Jean-Yves Le Drian
Chef de la diplomatie française

"On a appris brutalement par une déclaration du président Biden que voilà, le contrat qui était passé entre la France et les Australiens s'arrête, et puis les Etats-Unis vont proposer une offre nucléaire, dont on ne connaît pas le contenu, aux Australiens", a pointé Jean-Yves Le Drian.

"Cela ne se fait pas entre alliés (..) Nous parlions de tout cela avec les Etats-Unis il y a peu de temps et là, voilà cette rupture. C'est assez insupportable", a-t-il martelé.

"Nous sommes lucides sur la manière dont les Etats-Unis considèrent leurs alliés et leurs partenaires", a pour sa part estimé Mme Parly.

Le Sénat français s'est pour sa part interrogé sur "la nature exacte" de la relation entre Paris et Washington.

Les sénateurs s'inquiètent également de la vente à un pays non doté de l'arme nucléaire de sous-marins à propulsion nucléaire.

Cela "n'a pas de précédent", "les Etats-Unis et le Royaume-Uni changent les règles du jeu", selon le communiqué du Sénat.

Le français Naval Group avait été sélectionné par Canberra pour fournir 12 sous-marins à propulsion conventionnelle (non nucléaire) dérivés des futurs sous-marins nucléaires français Barracuda.

Interrogée sur la question d'éventuelles compensations, Mme Parly a répondu : "nous allons étudier toutes les voies" et tenter de "limiter le plus possibles les conséquences pour Naval Group".

"Il va falloir des clarifications. Nous avons des contrats. Il faut que les Australiens nous disent comment ils s'en sortent", a renchéri le chef de la diplomatie française, en réclamant des "explications" à l'Australie comme à Washington.

La dénonciation du contrat devrait coûter plusieurs centaines de millions de dollars d'indemnités à Canberra, selon la presse australienne.

"Déception modérée" de la CGT selon qui "le risque était connu"

Pour Vincent Hurel, secrétaire général de la CGT Naval Group à Cherbourg (France), cette résiliation de contrat, "c'est une déception modérée parce qu'on avait un enthousiasme modéré lors de la signature du contrat". "Le risque était connu", a-t-il déclaré à l'AFP.

"On attendait la mise en oeuvre. Tout ne roulait pas parfaitement", a ajouté le syndicaliste, qui s'est dit "déçu mais pas surpris".

"L'échec de ce contrat aura des conséquences industrielles très modérées parce qu'il n'était pas assez avancé", a ajouté M. Hurel. "On espère que ce retour d'expérience va faire réfléchir notre direction sur une stratégie sur la vente d'armes."

Selon lui, 500 emplois sont actuellement occupés dans des activités liées à ce contrat, ainsi qu'une "grosse centaine d'Australiens".

Il a dit souhaiter que Naval Group "se recentre sur ses activités de la marine nationale" et "qu'on cesse cette construction capitalistique sur tout ce qui peut rapporter du profit".