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Présidentielle 2022: l'électorat d'Éric Zemmour disséqué par deux études

Un soutien d'Éric Zemmour photographié à Béziers samedi 16 octobre (illustration)  (Photo: Eric Gaillard / Reuters)
Un soutien d'Éric Zemmour photographié à Béziers samedi 16 octobre (illustration) (Photo: Eric Gaillard / Reuters)

POLITIQUE - Il n’y a que sur le papier qu’Éric Zemmour n’est pas (encore) candidat à l’élection présidentielle. Son agenda, ses conférences aux allures de meeting et ses ballons d’essai programmatiques ne laissent que peu place au doute quant à ses intentions. C’est aussi comme cela que les Français l’ont compris. Ce mercredi 27 octobre, la Fondation Jean-Jaurès publie un rapport qui étudie en profondeur les ressorts d’une candidature du polémiste, à la lumière des données sociologiques et électorales collectées par Ipsos Sopra-Steria en partenariat avec Le Monde et le Cevipof-Sciences Po.

Une étude qui intervient quelques jours seulement après une note de François Kraus, directeur du pôle ‘Politique / Actualités’ à l’Ifop, publiée dans la revue DDV (une revue de la LICRA) et proposant une “radioscopie d’un nouvel électorat national-populiste” qu’ambitionne de capter l’essayiste.

Ces deux publications ont en commun d’avoir sondé un panel plus large que d’habitude: 5025 personnes pour l’Ifop et 16.000 électeurs potentiels pour Ipsos. Ce qui permet d’obtenir des données plus solides qu’un sondage d’intentions de vote classique qui rassemble généralement entre 1000 et 1500 sondés. Il en ressort une première observation majeure: Éric Zemmour dispose d’un solide ancrage.

Un électorat compact et déterminé

Avec un positionnement au carrefour du Rassemblement national et des Républicains, Éric Zemmour parvient à rassembler plusieurs catégories de la population, réalisant des scores “relativement proches quel que soit l’âge des électeurs, de 13 % chez les moins de trente-cinq ans à 17 % chez les plus de soixante ans”, écrit la Fondation Jean-Jaurès, qui ajoute: “il réalise des scores relativement proches également entre les principales professions, de 14 % chez les CSP+ à 16 % chez les CSP-: cet écart de 2 points culminant à 18 points pour Marine Le Pen”.

Une homogénéité mesurée aussi par l’Ifop. “L’animateur de télévision recueille aujourd’hui à peu près autant de voix chez les ouvriers (14%) que chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (16%), de même qu’il obtient à peu près le même score chez les détenteurs d’un 2ème cycle (14%) que chez les électeurs n’ayant pas le bac”, note cette étude réalisée pour la Licra. Dit autrement: une certaine assise électorale qui contredit l’hypothèse d’une “bulle sondagière” sur laquelle surferait artificiellement le candidat putatif.

D’autant que son électorat apparaît très déterminé. Pour l’Ifop, 64% des électeurs d’Éric Zemmour se disent sûrs de leurs choix. Ce qui est proche de ceux de Jean-Luc Mélenchon (63%) ou d’Emmanuel Macron (66%). Avec Ipsos, la Fondation Jean-Jaurès souligne que “57 % de ses électeurs pensent qu’il sera qualifié pour le second tour et élu” et que “83 % d’entre eux estiment qu’il a l’étoffe d’un président de la République”. Ce qui démontre un taux d’adhésion particulièrement fort.

Priorité à l’islam et l’immigration

Vous trouvez qu’Éric Zemmour en fait trop sur l’islam et l’immigration? Il n’a, en réalité, aucune raison d’arrêter, tant ces thématiques impriment au sein de ses électeurs potentiels. “Ils n’ont pour préoccupation que l’immigration (75 %) et la délinquance (51 %) – respectivement 46 points et 24 points au-dessus de la moyenne – inversement, ils n’accordent guère d’importance à l’environnement (12 %) ou aux inégalités sociales (7 %). Ils estiment à 96 % que l’islam est une menace pour la République et à 98 % qu’il faut fermer davantage la France sur le plan migratoire”, observe la Fondation Jean-Jaurès.

Même constat du côté de l’Ifop, qui fait une comparaison avec l’électorat de Marine Le Pen. “S’ils se caractérisent tous les deux par une sensibilité beaucoup plus forte que la moyenne aux questions de lutte contre la délinquance, le terrorisme ou l’immigration clandestine, l’électorat Zemmour se montre encore plus polarisé par ces thématiques. Les enjeux sociaux comme la lutte contre le chômage ou le relèvement du pouvoir d’achat sont par contre beaucoup moins présents dans les motivations de l’électorat zemmourien que lepéniste”, détaille l’institut de sondage. Ce qui permet d’observer d’un autre œil le clivage politique qui s’exprime entre Éric Zemmour et Marine Le Pen au sujet du pouvoir d’achat.

“Gender gap” et autres limites

Si le quasi-candidat peut se targuer d’avoir des bases solides, il accuse tout de même de sérieuses limites. Première difficulté, ce que les anglo-saxons nomment le “Radical Right Gender Gap”, soit le peu d’adhésion que suscite l’extrême droite auprès de l’électorat féminin. Sans grande surprise, l’auteur du Premier sexe (éd. Denoël) affiche un sérieux déficit sur le vote des femmes, à l’inverse de Marine Le Pen qui avait réussi en 2017 à dépasser cet obstacle.

Comme le montre le graphe ci-dessous (Fondation Jean-Jaurès), la sous-représentation des femmes est criante dans l’électorat Zemmour, et plus particulièrement chez les Françaises de moins de 35 ans, qui ne sont que 8.2% à le soutenir (soit 10 points de moins que les hommes du même âge). Une réelle difficulté pour Éric Zemmour, qui continue de se dire “contre la parité” en promettant même de revenir sur la loi qui la consacre, ce qui reviendrait à faire une révision constitutionnelle, puisque l’article 1er de la Constitution établit que “la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales”.

Fondation Jean-Jaurès (Photo: Graphique réalisée par la Fondation Jean-Jaurès sur des données Ipsos)
Fondation Jean-Jaurès (Photo: Graphique réalisée par la Fondation Jean-Jaurès sur des données Ipsos)

Ce n’est pas la seule difficulté à laquelle est confronté le quasi-candidat. Parmi les autres faiblesses mesurées à cet instant T, une sorte de plafond dans sa capacité à siphonner chez ses concurrents, et plus précisément chez la candidate RN. ”À 57%, les électeurs de Marine Le Pen approuvent l’idée que ‘pour établir la justice sociale, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres’ – exactement dans les mêmes proportions, les électeurs d’Éric Zemmour pensent le contraire”, note la Fondation Jean-Jaurès.

Un phénomène également mesuré par l’Ifop. “Compte-tenu du positionnement plus libéral du journaliste du Figaro sur les questions économiques, Éric Zemmour ne parvient pas à capter la frange la plus populaire du lepénisme: la candidate du RN parvient à conserver dans son giron l’essentiel de ses ex-électeurs ouvriers (74%) ou employés (71%)”, observe l’institut de sondages. Autre mécanisme qui pourrait constituer une limite, une sorte de miroir déformant lié à la spécificité de son électorat, qui compte une large proportion d’“accros à la politique” pour reprendre l’expression de la Fondation.

70% des Français estiment qu’il n’a pas l’étoffe d’un président de la RépubliqueEnquête Ipsos-Sopra-Steria pour La Fondation Jean-Jaurès, Le Monde et le Cevipof Sciences Po.

“Près d’un quart (23 %) de ceux qui déclarent s’intéresser beaucoup à la politique le choisissent pour candidat, contre seulement 9 % de ceux qui affirment au contraire ne pas s’intéresser à la politique”, notent les auteurs, qui préviennent: “cela peut d’ailleurs expliquer pourquoi la dynamique du polémiste est si favorable à l’heure actuelle, où les citoyens les moins intéressés par la politique n’expriment pas encore d’intention de vote claire car ils se désintéressent de l’élection”. En résumé, une surreprésentation du vote zemmourien dans les différents sondages publiés par la presse ces derniers jours ne serait pas étonnante.

Éric Zemmour, qui devrait officialiser sa candidature début novembre, parviendra-t-il à consolider et élargir sa base en surmontant ces difficultés? Même s’il y parvient, la compétition restera compliquée pour le polémiste. Selon les données Ipsos, 70% des Français estiment qu’il n’a pas l’étoffe d’un président de la République (dix points derrière Marine Le Pen) et 71% qu’il ne donne pas une bonne image de la France à l’international: “sur ces deux questions, il est celui de tous les candidats qui réalise les pires performances”.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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