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Procès des attentats de janvier: un policier du Raid raconte l'assaut de l'Hyper Cacher

Le Raid a mené l'assaut dans l'Hyper Cacher où Amedy Coulibaly retenait 26 personnes le 9 janvier 2015. L'un des policiers se remémore, pour BFMTV, "l'intervention la plus marquante" de sa carrière.

A partir d'aujourd'hui, la justice, qui juge 14 personnes soupçonnées d'avoir un lien avec les attentats de janvier 2015, se penche sur les actes commis par Amedy Coulibaly, le preneur d'otages de l'Hyper Cacher.

Il est un peu avant 17h10 ce 9 janvier 2015 quand un camion de la BRI, la brigade de recherche et d'intervention, traverse la place de la porte de Vincennes à Paris. Derrière le véhicule, la colonne d'intervention du Raid, l'unité d'élite de la police, qui avance prudemment, s'apprête à donner l'assaut dans le magasin Hyper Cacher où le terroriste Amedy Coulibaly retient 26 personnes en otages depuis le début de l'après-midi.

Cette image a été captée par toutes les télévisions présentes ce jour-là dans le XXe arrondissement de Paris. Elle reste aujourd'hui celle qui symbolise cette intervention, préparée dans l'urgence, dans un contexte inédit.

"C'est le briefing le plus court que j’ai fait, là en une, deux minutes... J'ai dit à mes hommes 'il y en a un (terroriste, NDLR), il y en a peut-être un deuxième, les otages sont à gauche…'", se souvient aujourd'hui l'un des policiers qui commandait l'opération.

Une situation difficile

Le groupe du Raid de ce commandant a été rapidement appelé sur la prise d'otages de l'Hyper Cacher.

"Nous étions partis pour traquer les Kouachi en forêt en Seine-et-Marne, se souvient le commandant Jean. Cela faisait deux jours. On avait allégé le dispositif, et le matin du 9 janvier, on est retourné à Bièvres (l'un des QG du Raid, NDLR). Dès qu’on arrive à Bièvres, on apprend qu’il y a une prise d'otages sur l’Hyper Cacher et qu’en même temps les frères Kouachi se sont réfugiés dans une imprimerie."

À cette époque, les autorités pensent que Chérif et Saïd Kouachi, les auteurs de l'attaque de la rédaction de Charlie Hebdo, sont seuls dans l'imprimerie. L'urgence est donc donnée à la prise d'otages de l'Hyper Cacher. Le groupe d'alerte du Raid, l'équipe mobilisable 24h/24, est déjà parti sur place. Les hommes du commandant Jean prennent eux aussi la direction de la capitale, la circulation est difficile dans l'est parisien où une partie du périphérique a été fermée en raison des événements.

"Pour sortir du périphérique à la porte de Vincennes, nous ne pouvons pas prendre la sortie car elle est encombrée de voitures et on ne parvient pas à arriver à cette place, se rappelle-t-il. Nous sommes obligés de prendre la rampe qui descend de la porte de Vincennes au périphérique en marche arrière."

"Faire la part du vrai et du faux"

Sur place, la situation est tendue. Dans le poste central installé au milieu de la place, beaucoup de monde s'agite. Le commandant rejoint le PC où il est briefé. Ses hommes restent pour l'instant en retrait. "On sait rapidement qu’il y a Amedy Coulibaly. On a toujours un doute qu’il y a une deuxième personne avec lui. Le doute on le gardera jusqu’à la fin." Une habitude pour ces policiers du Raid qui doivent, à chaque intervention, "faire la part du vrai et du faux".

Un, peut-être deux, tueur, une vingtaine d'otages regroupés pour certains sur la gauche du magasin, d'autres réfugiés au sous-sol du magasin. À partir de ces informations, les commandants du Raid, dirigé à l'époque par Jean-Michel Fauvergue, doivent commencer à imaginer un plan d'intervention, en se basant notamment sur l'expérience du groupe "effraction" du Raid, composé de policiers spécialisés dans l'ouverture des portes lors d'opérations, que le commandant Jean dirige.

"Au départ, on essaie de savoir par où on va rentrer, détaille le commandant. On a les plans parce que le gérant nous les a donnés. On voit qu’il y a deux entrées. Il y a l’entrée principale et une entrée sur le côté gauche, pour les livraisons. On essaie de regarder dans le sous-sol si on ne peut pas faire une brèche dans le mur pour entrer par le sous-sol, mais c’est trop difficile, les murs sont très épais et qu’il va falloir utiliser des explosifs et il va s’en rendre compte."

"On ne pense pas à la pression extérieure"

Les policiers du Raid disposent également des dernières images captées par le système de vidéosurveillance. On y voit Amedy Coulibaly bloquer l'accès de la porte blindée latérale avec des caddies et des palettes. Une mauvaise nouvelle pour les forces de l'ordre qui ne peuvent intervenir de façon simultanée pour encercler le terroriste dont ils vont finalement tirer avantage.

"On se dit qu'on va lui faire croire qu’on va passer sur le côté et je pense qu’il a été surpris par cela, se souvient le chef de groupe. La porte principale, c’est un rideau métallique et derrière ce sont des portes vitrées avec un détecteur de présence. Le gérant nous donne la clé de ce rideau métallique avec une serrure à l’extérieur. Coulibaly, lui, ne peut pas agir sur cette porte de l'intérieur."

Les hommes du Raid restent concentrés. "On ne pense pas à la pression extérieure, on pense professionnel, assume le commandant Jean. On pense à comment on va faire pour libérer les otages, c'est notre priorité. On ne pense pas aux conséquences." Les chefs de groupe discutent entre eux, récupèrent des informations auprès du gérant ou du salarié, Lassana Bathily, qui a réussi à s'échapper. La seule inquiétude demeure quant aux liens entre les Kouachi et Amedy Coulibaly.

Ce moment redouté tombe à 16h50. L'assaut est donné à l'imprimerie où sont réfugiés Chérif et Saïd Kouachi. "À peine on élabore notre plan qu'on apprend que les frères Kouachi sont sortis de l'imprimerie. On se dit que si Coulibaly voit ça, car il regarde la télé, il écoute la radio, il va s’en prendre aux otages. On se dit que ce qu’on venait de décider, il faut le faire tout de suite."

Agir "tout de suite"

En quelques minutes, les groupes du Raid se mettent en place. Deux hommes du groupe effraction, avec les effectifs de la BRI, sont envoyés à la porte latérale gauche, porte blindée qu'ils font exploser. Une technique de diversion pour attirer Coulibaly alors que le groupe du commandant Jean doit entrer le premier par la porte principale du magasin tandis que l'autre groupe doit se charger des otages réfugiés au sous-sol. À ce moment-là, il y a "un doute".

"Même si on a fait le meilleur plan, même si vous êtes entraînés, il y a une part de chance", reconnaît le policer du Raid.

Avant de raconter: "La porte explose. Ils ont réussi à bien ouvrir la porte. Coulibaly est en même temps au téléphone avec la négociation. Il va sur le côté et tire un peu. Pendant ce temps, on ouvre le rideau mais ça prend du temps. On pensait que c’était plus rapide mais en fait c’est assez long, très long, très long. Je me souviens que quand la porte s’ouvre, on le voit. Il est entre deux rangées, il tire dès qu’il voit que c’est ouvert. On aperçoit les gens qui ont été tués et après ça va vite. Le premier collègue peut entrer et quand le deuxième veut entrer, lui il tire. Le deuxième collègue ne peut pas entrer. Il y a un échange de coups de feu, et on le voit avancer vers nous, il fonce sur nous. Il a son gilet pare-balles."

"Il reçoit des balles, il avance encore et il s’écroule à nos pieds."

Fin de mission

La suite est une sorte de course contre la montre à la fois pour évacuer les otages, tout en s'assurant qu'il n'y a pas de deuxième tueur ou que le magasin a été piégé. "Je me souviens qu’il y avait une dame âgée qui était par terre, détaille le commandant Jean. Je lui demande si elle est blessée, elle me répond que non mais avec la peur et le choc, ses jambes ne la portent plus." Les otages sont rapidement pris en charge par les hommes de la BRI et de la police judiciaire.

À l'intérieur de l'Hyper Cacher, les hommes du Raid découvrent le corps des quatre victimes assassinées par Amedy Coulibaly. Ils retrouvent également des explosifs, des bâtons de dynamite avec un système de mise à feu, par chance pas branché. Les otages du sous-sol sont alors libérés. Pour le Raid, la mission vient de s'achever. "Quand on sort, on fait le bilan, explique le chef de groupe. Est-ce que tous les gars sont là, est-ce que personne n’est blessé?" Seul un policier a été touché à la jambe par une balle.

"On est toujours sur cette crête, si on n’a pas de chance, on peut avoir plus de morts", concède le commandant Jean.

Un sentiment de fierté

Juste après l'assaut, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, est venu saluer les hommes du Raid. "Bien sûr qu’on ressent de la fierté. Tout le travail qu’on a fait avant, ça a payé. La personne qui vient au Raid, elle s'entraîne, non pas pour faire ça, parce qu’on n'a pas envie de vivre cette situation où il y a des morts, mais elle est entraînée pour ça. Quand, à la fin, on réussit la mission, on est fier de ce qu’on a fait. On est fier aussi d’avoir libéré, d'avoir sauvé la vie des gens."

Cinq ans après les faits, l'assaut de l'Hyper Cacher reste évidemment dans l'esprit des policiers du Raid. Ces derniers ont toutefois été rattrapés rapidement par l'actualité. Le 13 novembre 2015, ils étaient déployés au Bataclan où 90 personnes ont été tuées par un commando d'hommes armés.

"Pour moi c’est l’intervention la plus marquante, conclut le commandant Jean. Globalement, toute cette période a été marquante."

Article original publié sur BFMTV.com

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