Qu'est-ce que la dissolution de l'Assemblée nationale, que Jordan Bardella veut demander en cas de victoire aux européennes ?

Le président du Rassemblement National espère un succès suffisamment large pour pouvoir provoquer une crise politique et des élections législatives anticipées.

Jordan Bardella voit à travers les élections européennes une forme de scrutin de mi-mandat. (Photo Bertrand GUAY / AFP)
Jordan Bardella voit à travers les élections européennes une forme de scrutin de mi-mandat. (Photo Bertrand GUAY / AFP)

Emmanuel Macron en arrivera-t-il à cette extrémité ? Alors que le parti du président de la République est en mauvaise posture dans les sondages à moins de deux mois des élections européennes, les mêmes études d'opinion font la part belle au Rassemblement National (RN). En position de force sur le plan médiatique, le candidat d'extrême droite Jordan Bardella ne s'est pas privé de mettre encore plus la pression sur l'exécutif en annonçant son plan en cas de victoire.

"Si je suis en tête des élections européennes le 9 juin prochain, je demanderai le soir même la dissolution de l’Assemblée Nationale, a expliqué sur le plateau de BFM TV le président du parti d'extrême droite. Pourquoi ? Parce que les élections européennes, c’est l’unique occasion, la seule élection nationale du quinquennat qui doit permettre aux Français de s’exprimer sur la politique du gouvernement, de faire entendre leur colère à Emmanuel Macron et par conséquent de désigner le mouvement politique qui sera chargé de préparer l’alternance."

Un droit constitutionnel accordé au président de la République

Mais à quoi fait référence le président du RN ? Tout simplement à l'article 12 de la Constitution de 1958, qui stipule que "le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale". Le texte constitutionnel prévoit d'ailleurs un certain nombre de modalité d'applications.

Le principe de la dissolution est très simple : par décision unilatérale, le chef de l'Etat peut révoquer tous les députés en place et remettre leur mandat en jeu. D'un point de vue pratique, on comprend également que si Emmanuel Macron décide de dissoudre mi-juin, dans la foulée de la possible victoire du RN aux européennes, de nouvelles élections législatives devraient être organisées avant la fin du mois de juillet.

Des élections qui doivent avoir lieu "vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution", énonce le texte de loi. À noter que, pour éviter tout excès, il est impossible de procéder à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections.

Le calendrier électoral chamboulé ?

Le rythme du calendrier des élections nationales en serait par ailleurs chamboulé, avec un décalage entre les élections présidentielles et législatives qui n'existait plus depuis les années 1990. Si de nouveaux députés sont élus en 2024 à la suite d'une dissolution, le scrutin suivant sera en effet mécaniquement repoussé à l'année 2029... sauf en cas de nouvelle dissolution.

La procédure permettant de révoquer le parlement n'est pas une spécificité de la Ve République. Elle est ainsi apparue dans notre pays quelques années seulement après la Révolution française et l'instauration du régime parlementaire, pendant la période de la Ière République (1792-1804).

Historiquement, un instrument de contrôle pour les monarques...

Au moment d'élire Bonaparte consul à vie en 1802, le Sénat lui donne également le pouvoir de mettre fin au mandat de deux des trois chambres législatives en place. Dès l'origine, donc, la dissolution est pensée comme une possibilité pour un monarque de redistribuer la composition d'un parlement qui ne lui convient pas ou plus.

C'est d'ailleurs par ce biais que la procédure va s'installer dans les habitudes politiques du pays au cours du XIXe siècle. Elle fera ainsi office de garantie et d'instrument de contrôle pour les rois successifs pendant la Restauration, puis la Monarchie de Juillet, avant d'être également utilisée par Napoléon III sous le Second Empire.

...puis un outil de manigances politiciennes

Survivant à la chute de ce dernier, la procédure de dissolution apparaît à nouveau dans la Constitution de la IIIe République. Pour la première fois, d'ailleurs, elle concerne une assemblée élue au suffrage universel direct, qui pourra être dissoute sur décision du Président de la République, avec l'aval du Sénat.

Les députés choisis par le peuple peuvent donc à tout moment être révoqués par deux autorités (Président de la République et Sénat donc) ayant été désignées au suffrage indirect. La dissolution devient ainsi un outil au service de manigances politiciennes, avec deux utilisations dès les débuts du nouveau régime, en 1871 et 1877.

Une seule dissolution entre 1877 et 1962, cinq depuis

Après cette date, elle n'a cependant plus jamais été employée dans le cadre de la IIIe République. Elle le sera une fois seulement sous la IVe République (en 1955), avant de devenir un recours plutôt utile pour le chef de l'Etat dans le régime très vertical de la Ve République.

En 66 ans, l'Assemblée nationale a ainsi été dissoute à cinq reprises : deux fois par Charles de Gaulle (en 1962 et 1968), deux fois par François Mitterrand (en 1981 et 1988, à chaque fois dans la foulée de sa victoire à l'élection présidentielle, dans le but d'obtenir la majorité à l'Assemblée) et une fois par Jacques Chirac (en 1997, avec un échec et une cohabitation à la clé). La sixième dissolution est-elle imminente ?