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Trump sur le sentier de la guerre commerciale

par Philip Blenkinsop et Susan Heavey

WAHINGTON/BRUXELLES (Reuters) - Le président américain Donald Trump a adopté vendredi une attitude de défi en déclarant que les guerres commerciales étaient saines et pouvaient être remportées après le tollé international et les turbulences boursières provoqués par son projet d'imposer des tarifs douaniers sur les importations d'acier et d'aluminium aux Etats-Unis.

L'Union européenne a évoqué de possibles contre-mesures, Paris a dit que les droits de douane seraient inacceptables, Pékin a appelé le président américain à la modération tandis que le Canada, principal fournisseur d'acier et d'aluminium des Etats-Unis, s'est dit prêt à des représailles si les mesures annoncées devaient l'affecter.

Donald Trump a annoncé jeudi que les Etats-Unis imposeraient la semaine prochaine des droits de douane de 25% sur leurs importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium afin de défendre l'industrie métallurgique américaine.

Le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, a déclaré que les mesures envisagées "semblent" s'appliquer à tous les pays.

"Ce qui a été annoncé hier par le président, c'est un concept très large de 25% sur tout l'acier et de 10% sur tout l'aluminium. Il va nous falloir regarder la complexité des détails mais c'est assurément le cadre général et cela aura en conséquence un impact assez vaste", a-t-il ajouté.

Les craintes d'une escalade protectionniste ont provoqué une chute des Bourses mondiales et un regain d'aversion au risque dont les traditionnelles valeurs refuges, comme les obligations gouvernementales et le yen, ont bénéficié.

"Quand un pays (les Etats-Unis) perd des milliards de dollars en commerçant avec pratiquement tous les pays avec lesquels il fait des affaires, les guerres commerciales sont justifiées et faciles à remporter", a déclaré vendredi le président américain sur son compte Twitter.

Dans un message publié ultérieurement sur Facebook, il a dit que son objectif était de protéger l'emploi aux Etats-Unis.

"Nous devons protéger notre pays et nos travailleurs. Notre industrie sidérurgique est en mauvaise posture. SI VOUS N'AVEZ PAS D'ACIER, VOUS N'AVEZ PLUS DE PAYS", a-t-il écrit.

PROBABLES REPRÉSAILLES

De nombreux économistes estiment que des droits de douane sur l'acier et l'aluminium détruiraient plus d'emplois qu'ils n'en créeraient en raison des hausses de prix qu'ils provoqueraient sur de nombreux produits comme les voitures ou le pétrole, ce qui pénaliserait la consommation, principal moteur de l'économie américaine.

Le Fonds monétaire international a abondé dans ce sens en déclarant que "les restrictions aux importations annoncées par le président des Etats-Unis vont probablement nuire non seulement à l'extérieur des Etats-Unis mais aussi à l'économie américaine elle-même".

La perspective de mesures de rétorsion par le Canada, la Chine ou l'Europe a fait plonger les Bourses mondiales qui s'acheminaient vers une baisse de l'ordre de 2,5% sur la semaine.

"C'est une réelle inquiétude parce que l'Europe est une économie mondialisée ouverte et ce n'est donc pas seulement les Etats-Unis contre la Chine", a dit Ian Ormiston, gérant sur les actions européennes chez Old Mutual Global Investors. "Et il y aura des représailles, il n'y a pas d'alternative."

Et le secteur privé pourrait ne pas être en reste. Le fabricant suédois d'électroménager Electrolux a annoncé le gel d'un projet d'investissement de 250 millions de dollars aux Etats-Unis dans l'attente d'éclaircissements sur les projets de Washington.

La Commission européenne a qualifié les droits de douane envisagés d'intervention flagrante équivalente à du protectionnisme.

Son président Jean-Claude Juncker a déclaré que l'UE, qui se targue de pouvoir faire contrepoids aux visées protectionnistes de Donald Trump, n'aurait pas d'autre choix que de répondre de la même manière si les Etats-Unis instauraient effectivement ces tarifs douaniers sur les importations d'acier et d'aluminium en provenance d'Europe.

"Nous allons mettre des barrières douanières sur les Harley-Davidson, sur le bourbon et sur les jeans Levis", a déclaré Jean-Claude Juncker à la télévision publique allemande.

"Nous sommes bien présents et ils vont apprendre à nous connaître. Nous aimerions avoir une relation raisonnable avec les Etats-Unis mais nous ne pouvons pas nous contenter de faire l'autruche", a-t-il ajouté.

Des mesures de sauvegarde, à l'instar de celles décidées par l'UE en 2002 après la décision du président américain de l'époque George W. Bush d'imposer des droits de douanes sur les importations d'acier, pourraient être adoptées afin d'éviter que l'acier et l'aluminium ne viennent se déverser en Europe en l'absence de débouchés aux Etats-Unis.

L'UE envisage d'appliquer des tarifs douaniers de 25% sur environ 3,5 milliards de dollars (2,8 milliards d'euros) d'importations en provenance des Etats-Unis si Donald Trump met à exécution son projet d'imposer des droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium, ont dit des sources de l'Union européenne au fait du dossier.

LA CHINE A L'ORIGINE D'UNE OFFRE SURABONDANTE

L'acier est une des préoccupations majeures de l'hôte de la Maison blanche, qui a promis de remettre sur pied l'industrie américaine et de sanctionner ce qu'il considère comme des pratiques commerciales déloyales, notamment de la part de la Chine.

Bien que la Chine ne représente que 2% des importations américaines d'acier, son expansion industrielle massive a contribué à une production d'acier surabondante au niveau mondial qui a fait reculer les prix.

"La Chine appelle les Etats-Unis à faire preuve de modération dans le recours à des mesures de protection commerciale, à respecter les règles du commerce multilatéral et à apporter une contribution positive à l'ordre commercial international", a déclaré la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying.

Les sidérurgistes asiatiques s'inquiètent aussi que l'imposition de droits de douane par les Etats-Unis n'entraîne un afflux massif d'acier chinois sur leurs marchés domestiques.

La Corée du Sud, troisième exportateur d'acier aux Etats-Unis derrière le Canada et le Brésil, a dit qu'elle continuerait de discuter avec Washington tant que le projet de droits de douane ne serait pas finalisé.

ArcelorMittal, le premier sidérurgiste mondial avec d'importantes implantations aux Etats-Unis comme en Europe, a dit qu'il examinait les conséquences potentielles des mesures annoncées tout en déclarant que les gouvernements avaient raison d'adopter une attitude ferme contre le commerce inéquitable.

(avec Jane Chung à Séoul et Tom Westbrook à Sydney, Kaori Kaneko à Tokyo, Tom Daly à Pékin, Minami Funakoshi, Chang-Ram Kim et Yuka Obayashi à Tokyo, Chayut Setboonsarng à Bangkok, Neha Dasgupta à New Delhi, Ceyda Caglayan à Istanboul, Robert-Jan Bartunek à Bruxelles, Sujata Rao-Coverley à Londres et Polina Devitt à Moscou, Marc Joanny pour le service français, édité par Bertrand Boucey)