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"Quoi que tu voies, tu te tais": un ex-salarié dénonce de graves dysfonctionnements aux pompes funèbres

Le cimetière de Champlan, en Essonne, le 4 janvier 2015 (photo d'illustration) - Kenzo Tribouillard - AFP
Le cimetière de Champlan, en Essonne, le 4 janvier 2015 (photo d'illustration) - Kenzo Tribouillard - AFP

Il se présente comme un lanceur d'alerte et dénonce de graves dysfonctionnements. John (qui a souhaité conserver l'anonymat), 37 ans, reste choqué par certaines pratiques qu'il aurait découvertes dans une agence de pompes funèbres Roc-Eclerc de Gironde, comme le relatait récemment un article du Parisien. Une agence où il a travaillé pendant deux ans avant d'être licencié pour inaptitude.

"Quoi que tu voies, tu te tais"

Employé à Mérignac par la filiale Sud-Ouest de Funecap - le numéro deux du funéraire en France, valorisé un milliard d'euros, propriétaire notamment de la marque Roc-Eclerc et du crématorium du Père-Lachaise à Paris - ce père de famille veut briser "la loi du silence". "Ceux qui y travaillent encore sont souvent précaires et ne veulent pas risquer de perdre leur travail", témoigne-t-il pour BFMTV.com.

Ses quatre classeurs compilent ainsi toute une série de qu'il présente comme des défaillances, documents qu'il a fournis à la justice. Dans un courrier adressé à la procureure de la République, il dénonce ainsi par la voix de son avocate des "faits pouvant constituer notamment des infractions d'atteintes à l'intégrité d'un cadavre, de violations de sépulture, de non-respect de la volonté d'un défunt". Une enquête a été ouverte et ses anciens collègues, tout comme lui, ont été interrogés.

"Le premier jour, un collègue m'a dit afin que je valide ma période d'essai: 'pendant six mois, quoi que tu voies, tu te tais', ça m'a interpellé."

Une inversion de corps

Après sa période d'essai, John fait face à de premières déconvenues dès le mois suivant. "Il manquait de l'argent sur ma paie." Selon lui, ses heures supplémentaires n'auraient pas été payées - le pointage des horaires de travail serait falsifié. Il évoque des cadences infernales et des journées à rallonge dans une ambiance tendue. Il assure avoir également subi du harcèlement moral. "Et puis j'ai appris qu'il y avait eu une inversion de corps."

En plus de conditions de travail difficiles qu'il juge par ailleurs inéquitables, le trentenaire aurait découvert plus grave. Un collègue lui apprend que deux corps ont été inversés lors d'une crémation. Le salarié qui s'est aperçu de l'erreur aurait reçu l'ordre de sa hiérarchie de couper le bracelet d'identification du corps, de se taire et de mener la cérémonie comme si de rien n'était. John aurait également eu connaissance de deux autres inversions de corps. Dans l'un des deux cas, l'une des familles aurait découvert l'erreur et un arrangement financier aurait été négocié.

John rapporte d'autres irrégularités, comme l'entreposage de corps sans réfrigération pendant plusieurs jours. Lors d'un appel passé à son chef pour lui signaler qu'un corps ne rentrait pas dans un cercueil trop petit, ce dernier lui aurait conseillé de "casser les jambes".

Le reliquaire rempli de pommes de pins

Il relate un autre incident qui se serait déroulé avant son arrivée au sein du groupe. Alors que l'un de ses collègues devait intervenir pour une réduction de corps - c'est-à-dire quand les ossements du défunt sont rassemblés dans un reliquaire - son supérieur lui aurait ordonné de ne pas le faire, faute de temps, de remplir le sac à ossements de pommes de pins et de poser le caveau. "Ils ont laissé le corps là où il était et ont posé le caveau à 8000 euros."

John craint que ces incidents ne soient pas isolés. Et assure avoir conservé des séquelles de ses deux années passées dans cette agence. Aujourd'hui, pour lui, plus question de travailler dans le funéraire même s'il précise que, "bien fait et avec de l'empathie, c'est un métier intéressant d'accompagner les familles".

Depuis son départ, deux autres salariés auraient été licenciés pour inaptitude. "Il y a un turn-over de fou, j'ai dû voir passer 50 ou 60 personnes dans l'année." Et déplore une logique mercantile. "Tout ce qui compte, c'est le fric, le nombre de convois par mois. C'est un casino qui ne perd jamais."

Une erreur "regrettable"

Interrogé, le groupe Funecap se défend et pointe "de grosses imprécisions" dans ces accusations. "Il n'y a jamais eu d'inversion de corps", assure-t-on à BFMTV.com, reconnaissant tout de même une erreur "regrettable" mais "exceptionnelle".

"Ce qu'il s'est produit il y a quatre ans, c'est une erreur d'un salarié qui a procédé à une crémation en avance sur l'heure prévue, avant que la famille ne soit sur place. On s'en est rendu compte tout de suite et on a convenu d'un dédommagement avec la famille, qui a été prise en charge par notre équipe."

Selon Funecap, aucun bracelet n'aurait été coupé. "On a ouvert une enquête interne pour éclaircir les choses mais les faits commencent à dater. Pour le moment, aucun élément ne nous confirme cela. D'autant qu'il n'y a aucun litige avec la famille." En ce qui concerne les pommes de pin placées dans le reliquaire au lieu des ossements, Funecap assure n'avoir "jamais eu connaissance de ces faits".

"Nous n'avons jamais eu de remontée à ce sujet, ni par le service juridique, ni par le référent déontologique. Nous avons appris cela par la presse. Quand on voit la gravité du sujet, on peut se demander pourquoi nous n'avons pas été alertés plus tôt. Ce qui nous fait douter de ces accusations."

Si le groupe reconnaît que l'année 2020, marquée par l'épidémie de Covid-19, a été "particulièrement difficile" accompagné d'une "surcharge de travail", il assure cependant qu'aucun salarié "ne s'est jamais plaint de harcèlement", évoquant des accusations "motivées par d'autres intérêts que la recherche de la vérité".

Si une procédure est en cours aux Prud'hommes, John maintient avoir bel et bien alerté sa direction ainsi que la médecine du travail, alors qu'il était encore en poste, aussi bien sur les dysfonctionnements dans la prise en charge des défunts que sur les conditions de travail dégradées et le harcèlement moral qu'il dit avoir subis.

Des prestations automatiques

Michel Kawnik, président de l'Association française d'information funéraire (Afif), assure pour sa part ne pas être étonné de ces défaillances. "Malheureusement, cela arrive dans énormément de cas", déplore-t-il pour BFMTV.com, regrettant un manque d'éthique morale et commerciale. "Il y a des sociétés qui font honte à la profession."

Dans le cadre de son association, il informe, accompagne et oriente les familles en deuil, notamment via une permanence téléphonique. Il est régulièrement alerté. "Nous estimons que quatre entreprises sur cinq profitent et abusent des familles, que ce soit par de la désinformation, de la tromperie et même de la manipulation pour facturer des obsèques très chères." Il cite notamment des ajouts de prestations - soins de conservation ou injection de formol - non obligatoires mais parfois attribuées d'office, gonflant la facture de plusieurs centaines d'euros.

"Je me souviens d'une mère et de sa fille, leur époux et père venait de mourir. Il avait beaucoup souffert dans sa vie, amputé à plusieurs reprises. Elles pensaient qu'enfin, au moins, il ne souffrait plus. Mais quand elles ont compris en quoi consistaient ces injections présentées comme des 'soins de présentation', elles ont été bouleversées. Cela représentait pour elles une violence supplémentaire. Elles m'ont dit que si on leur avait expliqué en quoi cela consistait, elles n'auraient jamais accepté."

Debout sur le cercueil

Des facturations qui peuvent varier du simple au double, jusqu'au triple. Michel Kawnik regrette un manque de contrôle de ces sociétés. L'année dernière, lors de la première vague de l'épidémie de Covid-19, la gestion de la morgue de Rungis avait fait polémique. Le passage d'un cercueil et la possibilité donné aux familles de venir se recueillir avaient été facturés jusqu'à plusieurs centaines d'euros.

Le représentant de l'Afif dénonce ainsi une logique lucrative qui serait à l'origine de nombreuses dérives. "Faute d'être bien informées et dans la difficulté du moment, les familles prennent en charge des frais qui en principe ne leur incombent pas et elles se retrouvent piégées." Et raconte encore plusieurs situations problématiques, à des degrés différents de gravité.

"On m'a raconté, lors d'obsèques, que l'un des porteurs s'était mis debout sur le cercueil pour le faire entrer dans un caveau trop petit. Imaginez le bruit du cercueil, qui frotte contre le ciment, qu'on essaie de rentrer de force. Une autre fois, le caveau n'ayant pas été suffisamment préparé à l'avance, était rempli d'eau. Cela arrive dans les anciens cimetières. Le cercueil y a tout de même été mis et la famille l'a vu flotter."

Michel Kawnik évoque lui aussi des cas d'inversions de corps, qui se seraient produits "pas qu'une fois". "Il est arrivé qu'une famille se recueille devant un corps qui n'était pas le bon, le défunt ayant été pris pour un autre et envoyé au crématorium quelques jours plus tôt." Et selon lui, "cela ne relève pas de l'exceptionnel".

Article original publié sur BFMTV.com