Attention danger, les supporters font des tifos !

Alors que la Préfecture des Alpes-Maritimes a publié un arrêté pour limiter les supporters parisiens à Nice suite à un tifo jugé « provocant », la coupe est pleine.

Ah qu’il est facile d’utiliser les jolies images colorées des fumigènes pour illustrer les campagnes de promotion de notre cher championnat.
Ah qu’il est sympa de voir ces superbes tifos, travail acharné de supporters bénévoles, pour habiller les tribunes françaises de leurs plus belles tenues de soirée.
Ah qu’on se régale de tous ces milliers de passionnés qui font vivre les clubs, chantent à pleins poumons et donnent écho à notre belle Ligue des talents. Ou pas.

Car depuis quelques années déjà, entre les pouvoirs publics et les instances du football français, on aime bien utiliser à foison ces petites images pour faire son autopromo, mais on raffole un peu moins de la gestion un chouïa embêtante des supporters. En clair : donnez-nous, mais on ne vous donnera rien.

La saison dernière, pas un seul week-end de football ne s’est ainsi déroulé sans qu’un arrêté préfectoral ne vienne entacher l’ambition des supporters de suivre leurs équipes favorites à travers l’Hexagone. Rappelez-vous en mai dernier, quand 50 Bordelais étaient rentrés pacifiquement à la Meinau, aidés dans l’achat des tickets par les Strasbourgeois, solidaires. Résultats ? Matraquage, expulsion du stade, et 18h de garde à vue. Sympa l’accueil.

Les raisons de ces interdictions de déplacement ? Elles sont diverses et variées, vont piocher à la fois dans les plans Vigipirate que dans des problèmes d’effectifs ou des simulacres de passifs dangereux entre deux groupes de supporters. En gros, on n’a pas envie de s’emmerder, et il est franchement plus facile d’interdire des supporters de venir dans un stade que de les encadrer.

Enfin ça, c’est le discours presque officiel. Car même cette justification ne tient pas, dans la mesure où les Préfectures déploient davantage de forces de police pour faire respecter un arrêté (pour quadriller les transports en commun et les voies entourant le stade par exemple), qu’en accompagnant simplement les supporters, dans une venue encadrée et pacifique. « De toute façon, l’argument souvent invoqué du manque d’effectifs est ridicule à la base. Il s’agit d’encadrer 500 supporters dans un pays où l’on gère régulièrement des manifestations regroupant des dizaines de milliers de personnes », nous explique Mathieu Zagrodzki, chercheur en science politique et spécialiste des questions de sécurité.

Bref, on marche sur la tête.

Il y a moins d’un mois, on interdisait par exemple les supporters de Lens de se rendre à Metz au prétexte d’une rivalité… Que les supporters dénonçaient eux-mêmes. Il faut dire qu’ils ont dû se sentir un peu bêtes, derrières leurs bureaux en marbre, quand les ultras de Metz ont été jusqu’à publier un communiqué pour soutenir leurs homologues de Lens, rendant totalement aberrantes les justifications des arrêtés préfectoraux et leurs « risques graves de trouble à l’ordre public ».

Et puis, comme si ça ne suffisait pas, on regorge désormais d’imagination pour dénicher ces fauteurs de troubles qui osent venir soutenir leurs équipes. Résultat au début du mois, un abonné du Stade Louis II se faisait tout bonnement expulsé car il portait un maillot vraiment trop dissident : celui de l’équipe de France, floqué Sidibé. Provocation oblige, vous imaginez, l’arrêté prévoyait d’interdire « l’entrée au stade aux spectateurs porteurs de maillots autres que ceux de l’ASM ou de l’équipe visiteuse » . Niveau discernement, on n ‘est pas franchement dans le haut du panier.

« L’interdiction de déplacement a été utilisée uniquement trois fois lors de la saison 2011/2012, mais elle l’a été 16, 37, 39, 218 (début de l’état d’urgence) et 81 fois lors des cinq saisons suivantes. Cette mesure est désormais entrée dans les mœurs des préfectures : ainsi celle de Moselle justifie-t-elle ses arrêtés lors des rencontres Metz-Lens par le fait que de tels arrêtés ont été pris les années précédentes. La préfecture de la Loire qualifie même ces arrêtés de “tradition”. L’illégitimité se nourrit par ailleurs des motifs grotesques invoqués pour fonder certains arrêtés. Celui relatif à la rencontre Metz-Lens contient un savoureux florilège : concomitance de la braderie de Lille, recrutement par Metz d’un adjoint ayant joué à Nancy, etc. Les exemples farfelus sont légion : soldes d’hiver (Troyes-Nantes), Foires de Mars (Troyes-Lorient), départ de la Vuelta le week-end suivant (Nîmes-Nancy), rodéo de voitures de supporters bastiais devant l’hôtel des joueurs lensois en… 1976 (Bastia-Lens), etc », explique d’ailleurs Pierre Barthélémy, avocat et spécialiste du droit public, dans un dossier intéressant publié sur les Cahiers du foot.

Mais qui prend ces décisions et comment sont-elles prises ? C’est la question que pose aujourd’hui l’Association Nationale des Supporters. « Nous avons saisi l’Instance Nationale des Supporters sur le sujet des interdictions de déplacement, afin de comprendre le processus de prise de décision d’une interdiction. Les décisions sont trop souvent décorrélées des recommandations de la DNLH, des clubs et des associations de supporters », nous explique James, porte-parole de l’association.

Ce week-end, c’est finalement la Préfecture des Alpes Maritimes qui a mis la cerise sur le gâteau de cette cuisine infâme. Il faut dire qu’ils ont dû beaucoup se creuser la tête, sur la côte d’Azur, pour trouver une raison de limiter à 200 le nombre de Parisiens prêts à venir chanter avec les cigales dans l’Allianz Arena. Du coup, ils ont dégoté un tifo réalisé par le Collectif Ultra Paris lors du premier match au Parc des Princes cette saison, pour les priver de voyage. L’objet de ce tifo ? La rivalité normale entre les principaux acteurs du championnat, dont Nice. Et même si ça semble complètement lunaire, ça a visiblement suffi puisque l’arrêté a été publié ce mercredi soir

« Se baser sur le tifo c’est une excuse bidon ! On savait que d’un côté le club de Nice ne voulait pas nous accueillir afin de pouvoir revendre les places visiteurs à leur supporters. De l’autre côté, ça arrangeait la préfecture car ils savaient très bien que nous allions refusé le quota de 200, et ça leur évite la gestion, mais ce n’est pas une façon de gérer des déplacements d’ultras que de refuser d’encadrer un groupe de 500 personnes ! C’est un aveux de faiblesse des pouvoirs publics, et pour la préfecture des Alpes Maritimes c’est devenue une habitude » nous explique Mika, vice-président du CUP.

Il y a une hypocrisie et un double jeu fou de la part des préfectures, on met un temps fou à obtenir le moindre rendez-vous, à entamer un dialogue. Mais au moindre petit couac, ils nous bloquent tout et s’en servent comme prétexte pour refermer toutes les portes. Ils savent très bien que nous sommes en mesure d’organiser un déplacement de 500 personnes sans aucun problème…”, a même ajouté Romain, président du Collectif.

Pour l’essentiel, vous avez compris, plus c’est gros, plus ça passe. Engins pyrotechniques, maillots aux mauvaises couleurs, et désormais bannières : tous les prétextes sont bons. Il faudra qu’un jour on explique à ceux qui tirent les ficelles du football français que ce n’est dans l’intérêt de personne de radicaliser ces déplacements, d’attiser la peur et de créer des tensions là où le football doit se vivre avec des sourires plus que des matraques. Des chants et pas des cris. Et puis, tout bêtement, que les associations de supporters existent justement pour encadrer les déplacements ou entamer un dialogue constructif, et que c’est franchement stupide d’avoir des tribunes visiteurs orphelines de passionnés. À quel moment va-t-on se réveiller pour favoriser la popularité de ce sport plutôt que l’aseptiser ?

Ambre Godillon