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Jeux Olympiques Tokyo 2021 : entre sacrifices et récompenses, comment Joseph Schooling est devenu le premier médaillé d’or de Singapour

Lorsque Colin et May Schooling ont décidé de soutenir leur fils Joseph dans son rêve de gagner aux Jeux Olympiques, ils avaient peu de modèles de référence. Et pour cause : aucun autre athlète de Singapour n’avait remporté de médaille d’or auparavant. Voici comment ils ont participé au triomphe exceptionnel de leur fils.

Colin Schooling sort un sac de sport, fouille dans son contenu et en extirpe une vieille paire de lunettes de plongée quelconque, un sourire radieux sur son visage. "Regardez ça, dit-il avec un peu de fierté en désignant le cordon en caoutchouc jaune vif. Je l’ai fait moi-même pour Jo quand il avait à peine six ans. Il ne nécessite aucun ajustement, je l’ai fait pour que les lunettes collent parfaitement à sa tête. Pourquoi ? Pour qu’il puisse se concentrer sur la nage sans avoir à perdre son temps à régler ses lunettes. Tout ce que je pouvais faire pour qu’il nage mieux, je le faisais."

Il sort d’autres lunettes du sac, avec le même cordon jaune intégré. Lors de son entretien d’une heure avec Yahoo News Singapour, le septuagénaire a également sorti un dossier contenant les temps et résultats des courses du jeune Joseph Schooling. Certaines notes étaient soigneusement prises à la main, d’autres étaient minutieusement récupérées auprès des organisateurs des tournois. Tout ce travail minutieux pour que son fils poursuive (et finisse par atteindre) son objectif et gagne la médaille d’or aux Jeux Olympiques.

Des sacrifices se sont naturellement imposés dès le début

L’histoire de Joseph Schooling est si emblématique que même les Singapouriens qui ne sont pas férus de sport la connaissent. Le jeune nageur à la soif de victoire dévorante a combattu le mal du pays lors de son entraînement aux États-Unis, n’a cessé de gagner les courses avec son papillon magistral aux Jeux d’Asie du Sud-Est, aux Jeux asiatiques et du Commonwealth, pour enfin remporter la première et à ce jour seule médaille d’or pour Singapour aux Jeux Olympiques de Rio, en 2016.

L’histoire de Colin et May, les parents de Joseph, est quant à elle plus méconnue. Certains se doutent d’ô combien les Schooling ont soutenu leur fils dans son projet, mais en voyant le charmant bureau situé dans leur appartement à Parkway Parade, couvert de photos, médailles et récompenses que Joseph a accumulées au fil de sa carrière de nageur depuis son plus jeune âge, on comprend vite à quel point Colin et May se sont investis pendant plus de dix ans pour aider leur fils à réaliser son rêve.

Colin, avec ses lunettes de plongée personnalisées et ses recueils de résultats, et May, avec ses allers-retours réguliers aux États-Unis, ont tout fait pour la réussite de leur fils, sans tenir compte des sacrifices qu’ils considéraient comme naturels. "Lorsqu’il n’avait que 6 ans, Jo me réveillait à 4 h 30 pour que je l’emmène aux cours de natation", se souvient Colin. "C’était un vrai ascenseur émotionnel. On a dû faire des sacrifices, mais c’était un beau voyage", renchérit May, 66 ans, avant que Colin n’ajoute : "On ne le referait pas une deuxième fois."

Un premier plongeon éprouvant

Les premiers pas pour encourager le rêve de Joseph furent difficiles puisqu’aucun sportif de Singapour n’avait remporté de médaille d’or aux Jeux Olympiques depuis que la petite cité-État, ex-colonie de la couronne anglaise, a envoyé ses premiers athlètes aux Jeux de Londres en 1948.

Le résultat le plus proche d’une médaille d’or réalisé par les Singapouriens survint en 1960, lorsque Tan Howe Liang remporta l’argent en haltérophilie, et en 2008, en tennis, lorsque la paire féminine remporta elle aussi l’argent en s'inclinant en finale contre la Chine.

Colin et May avaient tous les deux des antécédents dans le sport. Colin en pratiquait plusieurs et faisait partie de l’équipe de softball de Singapour. Quant à May, elle jouait au tennis pour l’équipe de l’État de Perak en Malaisie. Ils n’avaient aucun point de comparaison ou d’exemple de compatriotes qui avaient récemment épaulé un médaillé d’or olympique.

Jusqu’où devaient-ils aller ? Combien devaient-ils dépenser ? Ces questions ont trotté dans la tête de Colin et May qui ont demandé conseil auprès de la fédération de natation. "J’ai recherché d’autres parents de médaillés d’or dans des pays connus pour leurs bons résultats en natation, et lorsque des entraîneurs étrangers venaient à Singapour, je prenais le temps de les rencontrer pour leur poser quelques questions", raconte Colin.

"Ils conseillaient des écoles et recommandaient certains entraîneurs, poursuit l'heureux papa. Tout le monde nous soumettait l’idée d’un séjour à l’étranger pour s’entraîner. Nous avons alors vite compris que c’était un sacrifice nécessaire. Mais Joseph était déterminé. Depuis tout petit, il est comme ça. Nous n’avions donc pas beaucoup de doutes non plus."

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Un accompagnement jusqu’aux États-Unis

La détermination de leur fils leur réchauffait le cœur, et ce depuis que Joseph avait été fasciné par son grand-oncle, rencontré enfant au cours de réunions de famille. En 1948, Lloyd Valberg fut ainsi le tout premier athlète olympique de Singapour, et se classa 14e au saut en hauteur.

May se souvient de l’affinité naturelle que son fils avait avec l’eau. Il sautait dans la piscine dès qu’il le pouvait. Joseph avait également un grand esprit de compétition. Il se mesurait régulièrement aux plus grands que lui. " Jo détestait perdre, et lorsqu’il perdait, on le laissait tranquille, se remémore la mère du champion. On ne l’a jamais grondé. Nous avons été des athlètes, nous aussi. On connait la douleur d’une défaite."

"On se disait qu’on ne s’en préoccuperait que s’il se mettait en colère après une défaite, mais je ne me souviens pas avoir vu ça un jour. On se faisait discrets et on analysait ce qui n’allait pas et ce qu’il pouvait améliorer." À chaque course que Joseph remportait, Colin et May étaient convaincus que leur fils pourrait atteindre son but avec un entraînement et un régime alimentaire adéquats.

Ensemble, la famille a recherché les écoles qui engageaient les meilleurs entraîneurs en natation pour débutants, et s’est finalement tournée vers l’école Bolles à Jacksonville, en Floride, dont l’équipe était dirigée par le médaillé olympique Sergio Lopez.

Mais pour l’adolescent, quitter le confort de sa maison et vivre seul dans un environnement totalement étranger fut difficile, même s’il savait qu’il était sur la bonne voie pour poursuivre son rêve. C’était tout aussi difficile pour ses parents. Ils ont non seulement dû piocher dans leurs économies et vendre quelques-uns de leurs investissements, mais ils ont aussi dû adapter leur style de vie pour s’occuper à distance du bien-être de leur fils.

Parfois, ils se rendaient à Jacksonville, d’autres fois, ils l’appelaient au téléphone. May se souvient d’un appel lors duquel Jo avait exprimé son mal du pays, il disait hésiter entre rentrer à la maison ou persévérer. "Avec Jo, on discutait toujours calmement du pour et du contre, explique-t-elle. À la fin de chaque discussion, je lui disais : 'C’est à toi de décider'. Je n’insistais jamais pour qu’il fasse ceci ou cela. Ainsi, il était responsable de sa vie avant même de devenir un adulte."

"Avec mon mari, on consacrait beaucoup de temps et d’efforts, mais sans nous imposer à lui. Il devait assumer ses choix de vie. C’était important qu’il sache que sa victoire ou sa défaite était entre ses mains. Il devait prendre ses responsabilités."

"Tout a été beaucoup plus facile grâce au soutien de ma famille"

C’est une responsabilité que Joseph a finalement bien assumée tandis qu’il commençait à gagner des médailles aux compétitions locales et internationales. Repéré par des universités américaines qui se bousculèrent pour le recruter, il choisit de suivre le célèbre entraîneur Eddie Reese à l’université du Texas, à Austin, en 2014.

Un choix judicieux. Joseph progresse à pas de géant avec Reese, jusqu’à atteindre ce fameux jour à Rio, où il devance son idole Michael Phelps et remporte la médaille d’or du 100m papillon. Son objectif atteint, et alors qu’il se prépare à défendre son titre aux Jeux de Tokyo (qui débutent le 23 juillet), Joseph est sûr d’une chose : sans ses parents, il n’aurait pas cette médaille olympique et occuperait une tout autre place aujourd’hui.

"Partager ce moment sur le podium avec mes parents représentait énormément pour moi, et pour eux aussi. Cela rend toute cette expérience encore plus belle, confie le champion de 25 ans depuis son nouveau centre d’entraînement en Virginie, dans une interview par mail avec Yahoo News Singapour. Leur soutien m’a de toute évidence beaucoup aidé pour traverser une épreuve aussi colossale et fatigante."

"Mon père était à la fois tendre et dur, il savait que c’était en moi, poursuit Joseph Schooling, dès que je me plaignais ou pleurnichais, il répondait avec fermeté. Ma mère était plus attentionnée, elle me prenait dans ses bras en me disant que tout irait bien, tant que je prenais du plaisir. Ils étaient complémentaires dans leur manière de m’encourager et de me garder sur la voie pour atteindre mes objectifs."

"Soutenez votre enfant et ne vivez pas votre rêve à travers lui"

Colin et May peuvent enfin profiter de la fin de leur odyssée avec le triomphe olympique exceptionnel de leur fils. Quels conseils ont-ils à donner aux parents dont les enfants rêvent également de gloire olympique ? Colin pense qu’il faut se donner corps et âme pour le rêve de son enfant. "Si vous aimez votre enfant sans réserve, vous voulez qu’il fasse ce qui le passionne. Alors vous en faites votre propre passion", estime-t-il.

May, de son côté, met en garde : "C’est l’enfant qui doit vouloir viser la gloire olympique, pas les parents. Sinon, les parents feront pression sur l’enfant au point que celui-ci abandonnera. Soutenez votre enfant et ne vivez pas votre rêve à travers lui. Soyez honnête avec vous-même."

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