Affaire Kendji Girac : le chantage au suicide, une forme de violence psychologique "extrêmement grave"

Le chantage au suicide fait partie de la grille d’évaluation du danger dans les violences conjugales. Loin d’être anodin, c’est un outil de pression et d’emprise dans le couple.

VIOLENCES CONJUGALES - « Simuler un suicide » pour « faire peur à sa femme, l’impressionner ». C’est l’explication donnée par Kendji Girac aux enquêteurs pour expliquer sa blessure par balle au thorax. Dans une conférence de presse jeudi 25 avril, le procureur de la République de Mont-de-Marsan a mis fin aux spéculations en livrant la version du chanteur. Ce dernier raconte ainsi avoir commis ce geste – avec une arme achetée quelques jours plus tôt – par « impulsion », à la suite d’une très longue dispute, alors qu’il était alcoolisé et sous l’effet de la cocaïne, pour empêcher sa femme de partir.

Kendji Girac, blessé par balle, dit avoir voulu « simuler un suicide », selon le procureur de Mont-de-Marsan

L’explication de Kendji Girac, et notamment sa pression au suicide, a très vite interpellé sur les réseaux sociaux.

Loin d’être anodin, le chantage au suicide fait en effet partie « du faisceau d’indices pour détecter un risque feminicidaire », explique au HuffPost Laurène Daycard, autrice de Nos Absentes : À l’origine des féminicides (éd. Seuil). « Cela fait d’ailleurs partie de la grille d’évaluation du danger lors d’une audition pour violences conjugales qui a été distribuée en commissariat et en gendarmerie à la suite du Grenelle sur les violences conjugales », rappelle-t-elle.

Parmi les questions, deux sont ainsi liées au suicide et à la menace de suicide du partenaire violent : « Votre partenaire a-t-il déjà exprimé des idées ou des menaces de suicide ? » et « Votre partenaire a-t-il déjà fait des tentatives de suicide ? » (la première question de la grille concerne, par ailleurs, la présence d’armes à feu au domicile).

Extrait de la « grille d’évaluation du danger » distribuée aux forces de l’ordre.
Extrait de la « grille d’évaluation du danger » distribuée aux forces de l’ordre.

Car menacer de se suicider est un outil de violence psychologique et d’emprise dans le couple. « Soit il y a un vrai terrain dépressif qui nécessite des traitements et là, c’est à un psychiatre de s’exprimer là-dessus, mais souvent cela fait partie des stratégies de manipulation pour culpabiliser l’autre, pour lui faire peur, souligne Laurène Daycard. Cela fait partie des stratégies pour refermer le piège sur elle et qu’elle se dise “je ne peux pas partir sinon il va mourir”. »

Migueline Rosset, avocate spécialisée en droit de la famille, le confirme : « C’est un moyen de pression et un moyen de pression qui est très violent. » Celle qui traite de nombreux dossiers de violences conjugales a déjà été témoin de menaces de suicide de la part de conjoints violents. « Quelqu’un a mimé une tentative de suicide quasiment devant mon cabinet, se souvient-elle. Ma cliente était venue me voir, il l’avait suivie et il lui a dit “ce n’est pas possible, tu ne peux pas me quitter”. Il s’est précipité devant les voitures sur l’avenue. Il n’a pas été touché mais ma cliente était complètement paniquée. »

Au cœur de ces dynamiques, il y a une inversion de la responsabilité. C’est ce que décrit la psychiatre et thérapeute spécialisée dans les violences faites aux femmes, Marie-France Hirigoyen. Dans un article de 2009 intitulé De la peur à la soumission, elle revient sur ce mécanisme. « Le chantage au suicide constitue une violence extrêmement grave car il conduit la partenaire à endosser la responsabilité de la violence », rappelle-t-elle.

Une pression accrue en cas de séparation. « Les hommes renforcent leur culpabilisation lorsque la femme menace de partir, écrit la psychiatre. Elles sont alors accusées de vouloir les détruire, et cela est renforcé par le chantage au suicide. Le partenaire leur injecte la culpabilité qu’il n’éprouve pas. »

Dans le cas de l’affaire Kendji Girac, la procédure judiciaire devrait se conclure par un classement sans suite. « La justice n’a pas vocation à enquêter sur les raisons d’un suicide », le suicide « n’étant pas une infraction en France », a rappelé le procureur de la République de Mont-de-Marsan lors de sa conférence.

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