Jeremstar, victime du cyberharcèlement : "Je suis condamné à perpétuité sur Internet"

Pour Jeremstar, tout a commencé dans le milieu de la télé-réalité, avec des bains résolument trash dans lequel il accueillait une myriade de candidats, venus déverser leurs petits secrets de tournage. En parallèle, sa conciergerie sur Internet en dévoilait toujours plus. Un personnage transgressif que Jeremy Gisclon a construit pendant des années, avant sa descente aux enfers. En 2018, il se retrouve mêlé bien malgré lui à une sombre affaire. Le début d’une bataille judiciaire acharnée contre des cyberharceleurs que Jeremstar raconte aujourd’hui dans un livre, "Survivant des réseaux sociaux" (Ed. Hugo Doc). Pour Yahoo, l’ex-blogueur revient sur ses engagements, mais formule aussi sans filtre son mea culpa au regard de ses débuts dans un univers dont il dénonce aujourd’hui les rouages.

"J'aime autant les réseaux sociaux que je les déteste" annonce Jeremstar en préambule de son dernier livre, "Survivant des réseaux sociaux". Un titre sans équivoque qui annonce la sordide couleur d’un quotidien où se jouent peurs et angoisses. Car depuis 2018, Jeremy Gisclon, de son vrai nom, compose chaque jour avec les répercussions d’un harcèlement qui tire ses origines sur les réseaux sociaux. À l’époque, sa notoriété est encore grandissante, mais il refuse de s’enfermer dans le rôle du blogueur trash et provoc’ qu’il enfile dans ses baignoires sur Youtube. Lassé des interviews avec des candidats de télé-réalité, Jeremstar s’exporte sur le petit écran, dans l’émission de Thierry Ardisson, alors diffusée sur C8, "Les Terriens du dimanche". Sur le plateau, il s’emploie à dénoncer les dessous scabreux de l’industrie. Et c’est à partir de là que, selon lui, les choses dérapent.

Vidéo. Jeremstar : "Depuis 5 ans, ma vie est invivable"

"Agressions, menaces de mort, insultes toute la journée... c’est infernal, invivable."

Fort de ses connexions, Jeremstar décide alors d’enquêter sur la drogue, la prostitution et les pratiques scatophiles dans le monde de la télé-réalité. Dans "Les Terriens du dimanche", il dévoile le résultat de cette enquête, à coups de témoignages chocs. Des années plus tard, Jeremstar y voit le début de son enfer : "J’ai mis le doigt sur quelque chose qui dérange. J’ai commencé à recevoir des menaces, on a voulu me faire taire. À l’époque, j’ai même dû prendre un garde du corps qui surveillait l’endroit où je vivais" raconte-t-il à Yahoo. Commence alors "une grande campagne de dénigrement et de harcèlement sur les réseaux sociaux" menée à son encontre. La bulle est opaque, difficile de savoir d’où commencent les faits. Une chose est sûre, Jeremstar se retrouve empêtré dans un scandale sur fond de pédophilie et viols : "On m’a accusé de tout et n’importe quoi. Du jour au lendemain, ma vie a basculé."

Dans le même temps, un jeune homme dépose plainte contre lui pour viol. Mais l’ex-blogueur assure ne jamais l’avoir rencontré. Cette plainte précipite son départ de l’émission "Les Terriens du dimanche". Pourtant, 4 mois plus tard, le jeune homme en question retire sa plainte, avouant avoir menti sous ordre d’un photographe. "Mais le mal était fait, et j’avais déjà à ce moment-là tout perdu" déplore aujourd’hui Jeremstar. Insulté et accusé de toutes parts, il décide de se retirer un temps des réseaux sociaux, royaume de ses invisibles bourreaux. Déterminé à laver son honneur, il se lance alors dans de nombreuses démarches judiciaires, éreintantes.

Car 4 ans et demi après le début du scandale, "certains procès n’ont pas eu lieu", même si d’autres lui ont rendu justice : "J’ai fait condamner les menteurs, cyberagresseurs, les gens qui m’ont diffamé, harcelé. Mais depuis 5 ans, je passe ma vie dans les tribunaux." En plus des déceptions judiciaires et de la lenteur du système, Jeremstar doit mener un quotidien "pas très joyeux", dans lequel se répercutent les conséquences directes de cette campagne de dénigrement : "Des agressions, des seringues dans la boite aux lettres, des menaces de mort, des insultes toute la journée sur les réseaux sociaux. C’est infernal, invivable. Je suis condamné à perpétuité sur Internet." S’il a choisi "de ne rien lâcher", Jeremstar déplore le manque de considération des institutions judiciaires : "Des fois je me dis que j’aurais mieux fait de me suicider. Mais je veux survivre pour montrer à tous les jeunes qu’il existe bien des sanctions, et qu’on ne peut pas raconter n’importe quoi sur n’importe qui sur les réseaux."

Vidéo. Jeremstar : "Il a déposé plainte contre moi pour un faux viol s’en sort avec 500 euros d’amende avec sursis. Il faut arrêter ! Ils attendent quoi, qu’on se suicide ?!"

"Ils attendent quoi, qu’on se suicide ?! Les peines sont ridicules"

Car en plus de subir les rouages d’un phénomène insidieux et opaque qu’est le harcèlement en ligne, les victimes doivent ensuite tenir bon face à un système judiciaire peu ou pas assez sensibilisé à ce fléau. Jeremstar en est l’exemple même. Au tribunal, il lui faut inlassablement ré-expliquer son cas, et les conséquences de cet harcèlement 2.0 sur sa vraie vie, "parce que, malheureusement, le cyberharcèlement est encore un sujet mal maitrisé par la justice, ils ne comprennent rien." En témoignent les réflexions qui lui ont été lancées lors de certains procès, comme "Il faut juste couper les réseaux, éteindre son téléphone." Si seulement...

Pour Jeremstar, les institutions judiciaires sont démunies face à ce qu’Internet peut faire de pire. "On est face à des juges qui ont un certain âge et qui sont un peu dépassés par ce nouveau monde numérique. J’ai presque l’impression d’être consultant en réseaux sociaux." S’ajoutent à cela les sacrifices financiers pour obtenir justice. "J’ai claqué quasiment 200.000 euros de procédures judiciaires" lâche Jeremstar à Yahoo, conscient d’avoir la chance de détenir cette somme, au contraire d’autres victimes en situation de précarité qui y renoncent, faute de moyens. Et puis, même lorsque l’on peut se le permettre, une autre désillusion frappe le moral. Aujourd’hui, Jeremstar s’insurge devant la peine de l’un de ses harceleurs : "Le mec qui a déposé plainte contre moi pour un faux viol s’en sort avec 500 euros d’amende avec sursis. Il faut arrêter ! Ils attendent quoi, qu’on se suicide ?! Les peines sont ridicules. On me crache à la gueule une nouvelle fois et je ne peux pas le tolérer."

L’ex-blogueur pointe aussi du doigt l’inaction des pouvoirs politiques, ou plutôt ce qu’il considère comme de l’opportunisme : "J’ai l’impression que c’est un combat d’image. Certains politiques prennent la parole là-dessus, mais derrière il n’y a plus personne" déplore-t-il, appelant les concerné.e.s à recevoir les victimes de cyberharcèlement. Jeremstar dénonce aussi la légèreté avec laquelle les politique abordent le harcèlement en ligne. Dans son livre et au micro de Yahoo, il raconte qu'un membre du gouvernement commente ses stories dans lesquelles "des hommes sexy apparaissent" mais se montre beaucoup moins actif lorsqu'il l'interpelle sur la problématique du cyberharcèlement. En attendant, ce qui s’apparente à un véritable parcours du combattant pour obtenir justice et retrouver sa dignité a déjà découragé de nombreuses victimes de cyberharcèlement. Face à la lenteur de la justice, les frais de procédures judiciaires et l’incompréhension des pouvoirs publics, il est si difficile de tenir bon.

Vidéo. Jeremstar : "Le cyberharcèlement a tué Mavachou et ses trois enfants qui ne grandiront jamais avec leur mère"

"Le cyberharcèlement tue, et on en a la preuve"

En décembre 2021, quelques jours avant Noël, l’influenceuse MavaChou a mis fin à ses jours. Elle avait 32 ans, était maman de 4 enfants, et subissait depuis des mois un violent cyberharcèlement. Connue à travers ses vidéos Youtube dans lesquelles elle contait son quotidien de jeune maman, MavaChou avait plusieurs fois évoqué sa détresse émotionnelle. Jeremstar la connaissait bien et avait beaucoup échangé avec elle quelques mois avant son décès : "Elle était découragée par la lenteur de mes procédures. Elle se confiait beaucoup à moi, elle subissait des accusations du même genre, horribles."

Maëva Frossard, de son vrai nom, avait effectivement déposé une plainte contre son ex-mari pour harcèlement moral et provocation au suicide, mais était désespérée face à l’inaction de la justice. Aujourd’hui, Jeremstar déplore le fait que le suicide de MavaChou a entraîné de nombreuses actions, comme le traitement de ses plaintes et l’ouverture d’une enquête. Faut-il en arriver à cet extrême errance psychologique pour faire entendre la voix des victimes de cyberharcèlement ? "J’en viens à me dire qu’il n’y a que ça qui marche. Il faut se foutre en l’air pour que la justice prenne conscience de la gravité des faits, et peut-être qu’on m’entende davantage."

L’ex-blogueur considère, après ses échanges avec la famille de la jeune maman, que son suicide est "politique" : "Elle espérait que ça serve et que ça puisse faire avancer le combat. Force est de constater que ça l’a fait avancer un peu plus que quand elle était encore en vie. À partir du moment où elle est morte, tout s’est accéléré. Faut-il que je fasse pareil ?" Encore sonné par le décès de Mavachou, Jeremstar assure qu’il n’arrivera pas à cet extrême, mais s’inquiète de la façon dont le cyberharcèlement et ses conséquences sont encore trop passées sous silence : "Le cyberharcèlement a tué cette femme, mais aussi, en quelques sortes, ses enfants, qui sont encore là et ne grandiront jamais avec leur mère. Ça m’a bouleversé. Ç’aurait pu être moi. Le harcèlement tue, et on en a la preuve."

Vidéo. Jeremstar : "J’ai été un connard parfois"

"J’ai moi-même participé à des vagues de dénigrement. J’ai été un connard parfois"

Et puis, il y a aussi d’autres accusations à l’encontre de Jeremstar. S’il mène aujourd’hui un combat acharné contre le cyberharcèlement, et tout autre forme de harcèlement, il est conscient d’avoir lui-même été au coeur de ce système pendant des années, lorsqu’il évoluait encore dans le monde de la télé-réalité. C’est ce que certains lui reprochent. Mais sa parole en tant que victime en est-elle moins audible ? Jeremstar assume son passé sans fausse culpabilité : "J’ai plusieurs fois fait mon mea culpa. J’ai participé à des vagues de dénigrement, parce que je n’aimais pas tel ou tel candidat, ou que je dénonçais des agissements. Effectivement, sans m’en rendre compte, je n’ai pas été cool avec certaines personnes. J’ai été trop loin. J’ai été un connard parfois."

L’ancien blogueur aux formules trash se nourrie aujourd’hui de ses expériences du passé pour évoluer chaque jour, voire même bénéficier d’une meilleure analyse de cette forme d’harcèlement. "J’ai pu être des deux côtés. Ça me donne énormément de recul et c’est quelque chose que j’assume avec beaucoup de transparence" confie-t-il à Yahoo, estimant que cette place du harceleur et du harcelé lui confère aujourd’hui davantage de crédibilité, puisqu’il connait parfaitement les rouages de ce système.

Pour autant, Jeremstar regrette le fait que "les gens ont du mal avec cette notion de devenir meilleur", et que le grand public reste bloqué sur l’image controversée qu’il s’est crée par le passé. Désormais, il veut plus que tout sensibiliser les jeunes générations aux dérives des réseaux sociaux, véritable far-west où les mots tuent en silence.

Article : Sarah Mannaa

Interview : Carmen Barba

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