Les réseaux sociaux rendraient-ils phobiques de l'accouchement ?

La tokophobie, c’est à dire la phobie de la grossesse et de l’accouchement, n’est pas un phénomène nouveau. Souvent provoquée par des traumatismes physiques ou émotionnels, elle est aussi depuis longtemps alimentée par des histoires de famille ou la représentation exagérée de la douleur dans les séries TV. Mais aujourd’hui, le nombre de femmes touchées serait en train d’exploser. En cause selon certains spécialistes ? Les réseaux sociaux et notamment les forums de discussion !

Crédit Getty
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“Au début de ma grossesse tout se passait bien puis un jour, je suis allée sur internet …”. Voilà comment débute le témoignage d’une femme victime de tokophobie, sur le forum de Doctissimo. Aujourd’hui maman de deux enfants, Pap50au se souvient d’y avoir lu des “récits catastrophiques”, qui ont transformé ses mois de grossesse en véritable calvaire. “Je ne dormais plus, plus d’appétit et je devais me forcer à manger, j’y pensais toute la journée…”. Sa plus grande terreur ? Mourir en couche et laisser son premier fils orphelin. Avec du recul, la jeune femme réalise son erreur : “Internet est vraiment un piège pour les gens comme moi ! Si je n’avais pas lu tout ça j’aurais sûrement eu une légère appréhension “comme tout le monde” mais pas ces crises-là !”.

Les réseaux sociaux ? “Un tsunami d’histoires d’horreur”

Malheureusement, le cas de cette internaute est loin d’être isolé et le nombre de femmes atteintes de tokophobie serait de plus en plus important. Selon les résultats d’une étude du Better Birth Centre de Liverpool, il aurait même augmenté de 40 % entre 2007 et 2010. Une évolution qui a amené Catriona Jones, chargée de cours de sage-femme à l’Université de Hull en Angleterre, à pointer du doigt les réseaux sociaux : “Il suffit de taper “accouchement” sur Google et vous tombez sur un tsunami d’histoires d’horreur […] En surfant sur certains sites, comme Mumset, on voit des femmes qui racontent leur propre accouchement dans le genre : “Oh, c’était terrible, c’était un bain de sang, ceci ou cela s’est passé…””, a t-elle dénoncé lors du British Science Festival en septembre 2018.

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Sur les forums de discussion français, l’expérience est tout aussi saisissante. On ne compte plus les récits de jeunes mamans traumatisées par leur accouchement et avides d’en partager les détails les plus sordides. “Horrible”, “les 3/4 du temps c’est insupportable”, “c’est un écartèlement interne sur chaque contraction”, “j’ai hurlé la mort”, peut-on par exemple lire en réponses au post sur Doctissimo d’une jeune femme souhaitant savoir si l’accouchement est douloureux.

“Ce que j’ai lu m’a angoissée, car je l’étais déjà”

“Je ne dis pas que les réseaux sociaux poussent les femmes à avoir peur de l’accouchement, mais ils jouent définitivement un rôle”, tempère Catriona Jones, refusant de faire endosser aux forums de discussion et autres réseaux de partage, l’unique responsabilité de la tokophobie. Comme 17% des femmes (selon une étude datant de 2017), Sarah a développé une importante anxiété durant sa grossesse. En lisant de “nombreux témoignages sur internet”, la jeune femme avoue avoir “été stressée par le nombre de cas de figures différents”. Mais elle admet avec beaucoup d’humilité que “ce qu'[elle a] lu [l]’a angoissée car [elle] l’étai[t] déjà”. C’est même cette peur préexistante “de la douleur, des complications et surtout de l’inconnu” qui l’a poussée à se “renseigner”.

C’est aussi pour s’informer que Linda s’est mise à lire les témoignages de jeunes mamans sur internet. Pour celle qui attendait son premier enfant, difficile de résister à la curiosité de savoir ce qui l’attendait. Ses trouvailles ne furent guère rassurantes : “J’ai vu que le premier accouchement était le plus compliqué pour la plupart des femmes. J’ai aussi eu peur de ne pas tenir sur la durée car certaines femmes ont mis beaucoup de temps avant d’expulser leur bébé. Je me voyais pas supporter la douleur… “. Malgré les angoisses qui ne lui ont pas laissé de répit durant la grossesse, la jeune femme ne regrette pas d’être allée à la pêche aux informations. Et pour cause, “ce qu'[elle a] vécu durant l’accouchement était pire !”, selon ses propres aveux.

Cindy, enceinte de 5 mois, n’a elle non plus rien à reprocher aux réseaux sociaux. La future maman de 33 ans se dit même “plutôt rassurée” par ce qu’elle y lit. “C’est sûr que si on tape “accouchement douleur” ou “accouchement danger”, on risque de tomber sur beaucoup de témoignages éprouvants”, explique celle qui préfère envisager le meilleur. Une façon de dire que sur internet, on trouve peut-être tout simplement ce que l’on vient chercher…

Wassila Djellouli