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Pleasure : le cinéma se penche sur l'industrie pornographique avec un film choc

Réaliser un long-métrage, à destination des cinémas, ayant pour thème l'industrie pornographique : tel était le pari ambitieux de Ninja Thyberg. La réalisatrice dévoile aujourd'hui Pleasure, un film choc sur les coulisses de la pornographie qui risque de ne pas plaire à tout le monde.

Le film a fait beaucoup de bruit au festival Sundance, mais aussi à Cannes et à Deauville. Ce mercredi 20 octobre 2021, dans les salles obscures, les spectateurs pourront découvrir Pleasure, un long-métrage réalisé par Ninja Thyberg qui nous entraîne dans les coulisses de la vie d'une jeune femme qui rêve de devenir la nouvelle star du porno, peu importe le prix. Un film qui tombe à pic puisque le travail du sexe n'a jamais été aussi mis en avant que ces 18 derniers mois, même si le tournage remonte à 2018, soit bien avant le Covid-19 et l'émergence d'Onlyfans.

Le mythe de la pornstar qui a besoin d'être sauvée

Bon point pour Ninja Thyberg : son héroïne Bella Cherry, brillamment interprétée par la toute jeune Sofia Kappel, n'a pas le profil habituel des travailleuses du sexe que l'on peut voir dans des œuvres de fiction. La jeune femme possède une famille aimante, n'a pas été traumatisée par de mauvaises expériences passées, ou contrainte de se lancer dans la pornographie pour des raisons économiques. Non, Bella, elle, a fait le choix de quitter sa Suède natale et de s'installer à Los Angeles car devenir actrice porno est son rêve, et parce qu'elle adore s'envoyer en l'air. On est donc bien loin du mythe de la travailleuse du sexe qui se retrouve dans le milieu du X par contrainte. Et c'est plutôt rafraîchissant puisque cela rappelle que ce type de carrière peut aussi être un choix, discours trop rare dans le domaine.

À ce sujet, la réalisatrice est formelle : l'industrie du X exerce une véritable fascination chez les jeunes. "La pornographie est une grande part de notre culture. C'est un moyen de se faire de l'argent et de devenir célèbre. On peut gagner beaucoup en faisant du porno." Un argument qui ne plaira certainement pas à tout le monde, que ce soit du côté des puritains qui estiment que le travail du sexe devrait être purement et simplement interdit... Comme du côté des travailleurs et travailleuses du sexe, qui luttent au quotidien pour rappeler que la pornographie est un milieu difficile, dans lequel seules de rares personnes parviennent à devenir riches et célèbres. La preuve avec Onlyfans, souvent mis en avant comme un bon moyen de se faire de l'argent facile : selon les chiffres de la plateforme, les revenus moyens des créateurs et créatrices de contenu sont de 180 dollars par mois en moyenne. C'est loin d'être la panacée.

Vidéo. "Dans mon film porno, j'ai une responsabilité à montrer ce sexe-là"

Un portrait équilibré entre positif et négatif

Avec Pleasure, Ninja Thyberg fournit un film très documenté puisqu'elle a passé plusieurs mois à enquêter sur des tournages de films pornographiques en tout genre. Par ailleurs, à l'exception de son actrice principale, tous les membres du casting proviennent de l'industrie du X, ce qui n'était pas initialement prévu. Ce choix s'est imposé à la réalisatrice à l'occasion des castings : "J'ai longtemps fait passer des auditions à des acteurs "classiques", mais je ne les trouvais pas assez crédibles. Plusieurs scènes sont tournées avec des dialogues improvisés. Avec des habitués de l'industrie pour adulte, tout le monde savait de quoi il parlait, tout le monde utilisait les bons termes." Un point rassurant pour Sofia Kappel : "C'est un peu comme aller chez le gynéco. Tourner nue n'est pas toujours confortable, mais ce n'est pas comme s'ils n'avaient jamais vu de corps nus. Du coup, je me suis sentie en sécurité, détendue, en confiance."

Et de la confiance, il en a fallu. En effet, Pleasure ne dépeint pas un univers tout noir dans lequel il ne se passe que des choses négatives. Le film montre très bien la sororité, la complicité qu'il peut y avoir entre les travailleurs et travailleuses du sexe. Mais le long-métrage offre également quelques scènes très difficiles à regarder pour le téléspectateur : une double pénétration anale qui semble tout sauf confortable pour l'actrice, mais aussi et surtout une scène de sexe violent, où le consentement de la jeune femme n'est visiblement pas respecté. "Tout ce que l'on peut voir dans le film vient d'histoires qui m'ont été racontées par des personnes issues de l'industrie", affirme Ninja Thyberg. "Nous n'avions pas de coordinateur d'intimité sur le tournage à l'époque, donc c'est moi qui ai joué ce rôle, et c'était particulièrement intense."

Des scènes d'une rare violence

Mais cette intensité a particulièrement été vécue par Sofia Kappel, l'actrice principale : "Pour ces scènes difficiles, il a fallu beaucoup de dialogue et d'échanges avec les différentes personnes impliquées. On s'est préparés pendant des mois, en particulier avec Bill Bailey, avec qui je partage la scène. On m'a appris à donner l'impression que je souffrais, alors que ce n'était évidemment pas le cas. À chaque fois que la caméra ne tournait plus, mes partenaires me rassuraient, me rappelaient que j'étais en sécurité. Ils ont pris tellement bien soin de moi qu'au final, je me suis beaucoup amusée à tourner cette scène."

L'évolution du personnage de Bella Cherry est d'ailleurs particulièrement intéressant, puisque le spectateur constate rapidement que plus elle est "abîmée" par les abus dont elle est victime, plus son attitude a tendance à changer, revenant le reflet d'une personne moins idéaliste. Lorsque la jeune femme comprend que l'industrie n'est pas aussi rose que ce qu'elle pensait, elle-même devient plus dure, et prête à tout pour réussir dans cette industrie.

D'un point de vue extérieur à l'industrie pour adultes, la réalisatrice dresse un portrait intéressant, brut et extrêmement graphique du travail du sexe et du métier d'actrice pornographique, avec un angle plutôt original. La véritable révélation du long-métrage reste toutefois Sofia Kappel, dont c'est le tout premier rôle, et qui crève l'écran. Attention toutefois : Pleasure reste un film réservé à un public averti, et contient des scènes graphiques et brutales qui peuvent choquer la sensibilité de certains spectateurs. Reste à savoir comment cette nouvelle fiction autour du travail du sexe sera accueillie par les principaux concernés.

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