Addiction au sexe : "Je pouvais me masturber 10 fois par jour et coucher avec quatre personnes différentes en quelques heures"

young asian couple with relationship problem appear depressed and frustrated.

De nombreuses personnes plaisantent souvent en disant qu'elles sont "accro au sexe", en oubliant qu'il peut s'agir dans certains cas d'une vraie pathologie. L'addiction sexuelle est difficile à évaluer, mais touche malgré tout un certain nombre de personnes à travers le monde. Et elle possède des impacts aussi bien sur la vie intime et la vie privée que sur la carrière et les relations sociales des personnes concernées.

Dans sa récente biographie, Will Smith a fait des révélations étonnantes concernant sa vie intime. L'acteur américain, que l'on savait en couple libre avec sa compagne de longue date Jada Pinkett Smith, a confié avoir développé une vraie addiction au sexe durant sa jeunesse, à l'époque où il cartonnait dans la série Le Prince de Bel-Air. "J'ai eu des relations sexuelles avec tant de femmes, mais la sensation était si désagréable au plus profond de mon âme que j’ai développé une réaction de stress lorsque j’avais un orgasme." Une réaction psychosomatique qui a duré jusqu'en 1994, époque à laquelle il a rencontré celle qui allait devenir sa femme et la mère de ses enfants.

L'addiction au sexe est un sujet qui peut prêter à rire chez certaines personnes. D'ailleurs, qui n'a jamais entendu un·e de ses proches plaisanter sur le fait qu'il ou elle était "accro au sexe" pour décrire un simple goût prononcé pour le fait de faire l'amour ? Comme bon nombre de choses, la sexualité peut en effet devenir une addiction, aux conséquences bien plus graves que ce que l'on pourrait croire.

L'addiction au sexe, c'est quoi au juste ?

Pour mieux comprendre la situation, il est essentiel de comprendre la terminologie. Laurent Karila, professeur en psychiatrie et addictologie à l'Université Paris Saclay, fondateur du podcast ADDIKTION et porte-parole de l'association SOS Addiction l'explique de la manière suivante : "Déjà, il faut définir l'addiction. Pour ça, j'utilise un moyen mnémotechnique très simple : les 5 C, qui doivent revenir plusieurs fois sur douze mois : la perte de contrôle, l'usage compulsif, le "craving", ou l'envie irrésistible de consommer en anglais, l'usage continu et chronique, et enfin les conséquences sur la vie physique, psychique et sociale. C'est un postulat de base pour toutes les addictions, peu importe le substrat, cela correspond donc également à la sexualité."

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Le spécialiste précise que : "Les addictions sexuelles se manifestent particulièrement en ligne, notamment à travers la pornographie, les webcams, les échanges sexuels par réseaux sociaux, les sollicitations continues de travailleurs et travailleuses du sexe... Des activités qui n'ont en soit rien de problématique en temps normal, mais qui le deviennent chez les gens qui répondent à ces critères-là." Il insiste par ailleurs sur un point : "Le vrai problème de cette terminologie, c'est que si on se réfère à des classifications de maladies, il n'y a pas d'addictions comportementales. Il n'y a que l'addiction au jeu qui a été reconnue. En réalité, cela reste très théorique. Moi je vois énormément de gens qui souffrent d'addiction sexuelle. Des hommes, mais aussi de plus en plus de femmes." Un phénomène à ne pas confondre avec l'hypersexualité, un comportement sexuel humain qui se traduit par une recherche continue et persistante du plaisir sexuel qui n'est "pas forcément pathologique, mais qui peut le devenir lorsque les comportements deviennent compulsifs", conclut-il.

"Je consommais les partenaires de façon compulsive et boulimique"

L'addiction sexuelle peut être déclenchée par un facteur extérieur, et dans le cas de Jérôme*, c'est une séparation amoureuse qui a lancé la machine. "Je me suis rendu compte que j’avais ce problème il y a un an, en sortie de rupture. J’ai ressenti le besoin de rencontrer des gens. J’ai connu une période de 4 mois où j’ai eu un nombre incalculable de partenaires, femmes, hommes et de façon compulsive et boulimique." Le trentenaire n'en est pas fier : "Je suis arrivé au dégoût de moi-même, j’avais l’impression de me servir de l’autre pour combler un vide." Ludovic*, 28 ans, a quant à lui réalisé que son addiction sexuelle remontait bien plus loin qu'il ne le pensait : "Quand j'ai été diagnostiqué il y a plus de 10 ans, j'ai réalisé que durant mon adolescence, je souffrais déjà d'une addiction au sexe qui avait notamment pu engendrer des blessures physiques. Que se masturber dix à douze fois par jour, ça tient plus d'un souci que de la simple "libido d'adolescent"."

Deux prises de conscience, deux parcours différents. Ludovic s'est rapidement confié à un psychologue et évoque depuis son "combat pour savoir comment le gérer et comment éviter certains comportements malsains, toxiques ou dangereux." Jérôme, lui, n'a pas vraiment envie de faire changer la situation. S'il se décrit comme un "addict" et qu'il a bel et bien été diagnostiqué par une psychothérapeute, il s’interroge : "Changer ? Atténuer ? Tout le monde est heureux, je ne vois pas en vertu de quoi cela devrait changer." Le trentenaire va plus loin en avançant : "Il y a une chose qui me gêne, c'est le le point de vue normatif sociétal sur cette façon de concevoir les modes relationnels et la fréquence sexuelle. Aujourd’hui lorsque l’on me reproche d’être "trop" je rétorque par "de mon point de vue tu n’es pas assez", ce n’est pas parce que certaines personnes ont moins de désir, d’envie, de libido que l’on doit se conformer à leur façon de voir les choses. Il est vrai néanmoins que ce mode de vie est chronophage, implique une certaine pression mentale."

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Les femmes ne sont pas en reste

Comme l'affirmait un peu plus tôt le spécialiste Laurent Karila, les hommes sont loin d'être les seuls concernés par l'addiction sexuelle, même si ces derniers ont tendance à être plus facilement pris au sérieux par le grand public, en raison de la vision toujours très patriarcale de la société. Héloïse* a notamment été concernée par ce problème. "J’ai découvert que je pouvais avoir une addiction au sexe au cours de plusieurs discussions avec un plan cul que je voyais régulièrement. Lui-même étant addict, il m’a décrit l’addiction et son impact sur sa vie, je me suis reconnue la-dedans au fil des discussions et je me suis rendu compte que j’attirais de plus en plus de profils comme ça parmi les personnes avec lesquelles je couchais." La jeune femme a tenté de trouver de l'aide auprès d'une sexologue, mais sans grand succès au départ. "J’ai commencé à m’y intéresser de nouveau après le confinement de mars 2020, car je me suis vraiment rendu compte que l’addiction à la sexualité impactait ma vie professionnelle et personnelle et que c’était le cas depuis très longtemps. En pleine pandémie mondiale, et alors que j'ai plutôt tendance à me fier aux règles habituellement, je n’ai pas pu m’empêcher de sortir ou de voir des gens pour du sexe, j'ai fait des plans à plusieurs et tous mes contacts par message ont été tournés vers le sexe (visio, sexto, photo...)."

Héloïse estime que chez elle, l'addiction a pris plusieurs formes : "J'ai passé des journées à me masturber à plusieurs reprises, et j'ai pu coucher avec jusqu'à quatre partenaires différents en l'espace de quelques heures, enchaînant les rendez-vous." Une situation qui a fini par avoir un vrai impact sur sa vie sociale : "J’étais incapable de passer plus d’une journée sans coucher avec quelqu’un. J’ai refusé des soirées avec des amis ou de la famille juste parce que j’avais un rendez-vous à la fin duquel j’allais baiser." Depuis maintenant un an, la jeune femme est suivie par une sexologue, qui l'a beaucoup aidée. Aujourd'hui, elle porte un regard plus sain sur sa sexualité, et est loin d'être tombée dans l'abstinence : "Comme toute addiction, le sexe aura toujours une place particulière dans ma vie et je sais que cela peut être l’une de mes vulnérabilités. Je pense être guérie, mais je ne suis pas infaillible. Aujourd’hui, j’ai 26 ans et je suis en couple avec un homme, j’accepte de découvrir une sexualité émotionnelle et de prendre un peu plus le temps. De comprendre que, parfois, il est simplement fatigué sans que j’ai besoin d’aller coucher avec d’autres hommes ailleurs. En tout cas, pas sans lui. J’ai trouvé mon compromis dans le fait de vivre une sexualité avec lui." Un véritable soulagement pour la principale intéressée, nettement plus apaisée.

Vidéo. Isabelle nous raconte son premier plan à trois.

Comment soigner une addiction au sexe ?

Au même titre que pour toutes les addictions, toutes les personnes touchées par l'addiction sexuelle n'ont pas nécessairement envie d'en guérir. La preuve avec le témoignage de Ludovic. Mais pour celles et ceux qui voudraient se sortir de cette situation, il existe bien évidemment des solutions, ainsi que le rappelle Laurent Karila. "La première étape, c'est de faire un vrai diagnostic, en utilisant les 5 C, la durée, quel type de comportement il y a... Il y aussi des diagnostics d'élimination, c'est-à-dire déterminer si par exemple il n'y a pas un trouble bipolaire, ou des problèmes de drogue ou d'alcool qui auraient déclenché ce comportement sexuel excessif. Il ne faut pas non plus qu'il y ait de maladie de Parkinson, qui peut rendre également les patients hypersexuels, même si c'est différent de l'addiction sexuelle. Et il ne faut pas qu'il y ait de paraphilies, c'est-à-dire de perversions sexuelles. Une fois que ce diagnostic est fait, il faut rechercher à côté s'il n'y a pas des problèmes psychiatriques concomitants : dépression, troubles anxieux, troubles du sommeil... Ou encore d'autres addictions associées. Il faut également chercher des problèmes de santé liés à ces comportements, comme des problèmes d'IST par exemple. Ensuite, le traitement se fera généralement avec une approche de psychothérapie comportementale. Et souvent, il y a une dépression qui est associée, qui peut être traitée avec des médicaments. On peut également prévoir des thérapies de couple, car la plupart du temps l'addiction sexuelle entraîne des problèmes de couple."

Ce parcours, Julien* l'a suivi et le suit toujours, lui qui souffre de son addiction depuis plus de 20 ans. "Mon addiction sexuelle a été dangereuse à bien des aspects", raconte ce professionnel de santé. Ado, je passais tout mon temps sur des chats payants, et mes parents ont dû payer 5 000 euros en deux ans à cause de moi. Plus tard, j'ai ruiné ma relation avec ma femme en préférant me masturber que de lui faire l'amour. Mes collègues m'ont surpris en train de me masturber au travail. Des patients ont trouvé mes profils sur des sites en cherchant mes coordonnées sur le net." Aujourd'hui suivi par un psychiatre spécialisé, il a quitté sa compagne et a effectué un vrai travail sur lui-même : "Je notais sur un agenda chaque fois que j'avais un accès de "crise", à savoir de masturbation ou de consultation de site. J'ai aussi rencontré une nouvelle compagne, et ma nouvelle relation m'a beaucoup épanoui. J'étais arrivé à la limite du non-retour, soit je réagissais, soit je plongeais pour de bon, j'allais perdre mon travail et plus rien ne m'empêcherait plus d'être sur l'ordinateur en permanence. J'ai quand même perdu tous mes amis à cause de mon repli sur moi et je n'ai pas vu mes parents pendant 18 mois." Aujourd'hui, il estime avoir "appris à vivre avec", mais continue à suivre une psychothérapie. "J'ai appris à gérer la situation pour que ce ne soit plus nocif pour mon entourage et pour les femmes en général", conclut-il.

* Dans un souci d'anonymat, tous les prénoms ont été changés.

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